L'Arche d'alliance et ses gardiens

Une fois dans la pénombre souterraine, l'énigmatique présence d'anges donne une saveur mystique au silence. Deux chérubins veillent sur le Graal. Gardiens immobiles de l'arche d'alliance, ils semblent juger ceux qui passent sous leurs ailes. Les compétences d'un Indiana Jones seraient bien utiles pour franchir ce barrage ésotérique.

  • Accès : cette sculpture se trouve en hauteur peu avant le fond de la nef centrale de l’église souterraine. On ne peut y accéder qu'au cours de la visite guidée de l'église organisée par l'office du tourisme (Tél. : 33 (0)5 57 55 28 28 - accueil@saint-emilion-tourisme.com).

Le scénario paraît hollywoodien, taillé sur mesure pour un nouvel épisode d'Indiana Jones, mis à part que vous n'êtes pas devant un écran de cinéma, vous êtes bien dans la réalité, au cœur de l'énigmatique [église souterraine|/index.php?post/eglise] de Saint-Emilion. Sur toute la largeur de la voûte de la cinquième travée, deux anges immenses (plus grands que des hommes) surveillent le passage, leur tunique joliment plissée et leurs pieds reposant sur les assises de la voûte. Impressionnante de majesté dans le dépouillement de l’immense caverne, cette sculpture en faible relief daterait de la fin du XIe siècle ou du début du XIIe.

Comptons les ailes

Depuis le sol, on n'attribue aux sculptures que deux paires d’ailes. Les grandes, déployées à la manière des anges et les petites redressées sur les épaules qui forment une auréole autour de la tête. Mais pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir approcher de près les sculptures, une troisième paire d'aile repose, repliée sur la tunique entre le torse et l’abdomen.

cherubins1.png, fév. 2022

Dessin d'un chérubin de l'église souterraine par François Vatar Jouannet en 1823. Tous les observateurs ne reconnaissent pas la troisième paire d'ailes repliée sur la tunique.

Le nombre d'ailes est important car si les anges ont six ailes, ce sont des chérubins ou plus précisément encore des séraphins. Chérubins ou séraphins bénéficient, si on considère la hiérarchie céleste, d'un important ''grade'', au plus proche de Dieu. La différence entre l'un ou l'autre est subtile ; dans l'iconographie chrétienne du Moyen Âge, les séraphins sont plus souvent représentés comme des anges dotés de six ailes rouges et les chérubins plus volontiers dotés de quatre ailes bleues, et si ce sont des chérubins ou des séraphins, ils sont placés ici pour garder un trésor comme le veut la tradition juive. Par exemple, dans la Genèse, ce sont des chérubins qui gardent l'arbre de vie avec des glaives tournoyants (Genèse 3:24). Mais les chérubins, ce sont aussi dans le livre de l'Exode les gardiens d’un bien plus grand trésor : l'Arche d'alliance (Exode 25:18-22) :

« Tu feras deux chérubins d'or, tu les feras d'or battu, aux deux extrémités du propitiatoire ; fais un chérubin à l'une des extrémités et un chérubin à l'autre extrémité ; vous ferez les chérubins sortant du propitiatoire à ses deux extrémités. Les chérubins étendront les ailes par-dessus, couvrant de leurs ailes le propitiatoire, et se faisant face l'un à l'autre ; les chérubins auront la face tournée vers le propitiatoire. Tu mettras le propitiatoire sur l'arche, et tu mettras dans l'arche le témoignage, que je te donnerai. C'est là que je me rencontrerai avec toi ; du haut du propitiatoire, entre les deux chérubins placés sur l'arche du témoignage, je te donnerai tous mes ordres pour les enfants d'Israël. »

Si on suit ce texte à la lettre, alors pile sous les chérubins devrait se trouver l’Arche d’alliance. Peut-être pas  le coffre qui, dans la Bible, contient les tables de la Loi données à Moïse sur le mont Sinaï mais un trésor d’une certaine importance.

Pour les observateurs les plus raisonnables, cet accueil est pour le moins déconcertant mais il ne faut pas prendre l’allusion à l’arche d’alliance trop au premier degré. Les séraphins devaient garder un imposant maître-autel aujourd’hui disparu. Pour Jean-Luc Piat [1], la présence des séraphins n’est  guère étonnante : avec les représentations zodiacales voisines, elle signe une réminiscence de l'iconographie du Proche-Orient ancien et trahit l’influence des croisades. Selon ce chercheur, ces séraphins devaient veiller sur les reliques des saints, dont saint Emilion, placées juste en dessous.

La clef est dans les mains

Pour d’autres, il est un peu facile de considérer ces sculptures comme d’innocents graffitis. Michelle Gaborit [2] associe les chérubins au reste des sculptures et trace ainsi un lien avec les psaumes de David : le rocher dans lequel est taillée l’église est assimilé à Yahvé. L’arche d’alliance, la parole de dieu, c’est l’église souterraine elle-même. Pour autant, les Chérubins n’ont pas leurs mains dans la poche. La main droite est levée comme pour saluer tandis que la main gauche tient fermement un objet. Pour François Querre [3] le fait que la main droite soit levée signifie que les chérubins ont un message de la plus haute importance à délivrer. Ce message est tout entier contenu dans le bas relief au fond de la nef, c’est un message initiatique à l’attention des chevaliers du Graal. Léo Drouyn [4], bien que plus laconique (les anges sont à leur place dans le ciel, rien de très mystérieux) regrette tout de même de ne pas pouvoir donner un nom aux objets tenus dans la main gauche. 

cherubins2.png, fév. 2022

La représentation des chérubins avec six ailes apparait d'abord dans les manuscrits monastiques du XIIe siècle, ici le manuscrit 416 de la bibliothèque de Beinecke. Remarquez que chaque aile contient un nombre symbolique de plumes où sont inscrites les vertus chrétiennes essentielles. Ici les chérubins jouent un rôle initiatique et formateur.

On rencontre des chérubins qui tiennent des glaives, des flammes, des clefs, des sceptres, des baguettes d'or…  Savoir ce que tiennent ceux de Saint-Emilion éclaircirait bien des mystères. Alors, n'oubliez pas vos jumelles !

couverture guide saintem fr.jpg, fév. 2022

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Notes

[1] Propos tenus lors du colloque de décembre 2008 à Saint-Emilion.

[2] Peintures murales médiévales de Saint-Emilion, p. 18. Voyez la bibliographie.

[3] Saint-Emilion - Quand les pierres parlent, p. 26. Voyez la bibliographie.

[4] Guide du voyageur à Saint-Emilion, p. 80. Voyez la bibliographie.

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