((/public/.Querre_t.jpg|François Querre pour Viamichelin|L|François Querre pour Viamichelin, mai 2009))
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
((/public/.Querre_t.jpg|François Querre pour Viamichelin|L|François Querre pour Viamichelin, mai 2009))
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
C’est aux soeurs Ursulines que l’on attribue l’invention des macarons de Saint-Emilion, ces délicieux petits gâteaux ronds et plats. Le macaron apparaît en Italie au Moyen Âge et passe en France à la Renaissance, Rabelais le décrit dans son Quart LivreRabelais, Quart Livre, chap. 59, Marichal & Deoz, 1947, p. 241.. Mais il faudra attendre le début du XVIIe siècle pour que soit retranscrite la première recette de macaron et la plupart des recettes régionales sont encore tenues secrètes. A Saint-Emilion, leur existence est attestée dès 1740 Alain Drouard & Jean-Pierre Zarader, Les Français et la table, Paris, Ellipses, 2005, p. 80. et le roi de Pologne Stanislas Auguste en était particulièrement friand Hippocrate, vol. 15-15, 1946, p. 209..
Les soeurs Ursulines sont-elles les géniales conceptrices de cette sublime friandise ? Le seul document ancien retrouvé par Emile Prot est frappé d’un cachet mentionnant « Ancienne recette des Vieux-Cordeliers-Macarons de Saint-Emilion » et ne fait guère référence aux Ursulines. Pour Bertin Roulleau, c’est parce que la transmission de cette recette se fit de manière essentiellement oraleSaint-Emilion, son histoire…, p. 66. Voyez la bibliographie jusqu’à ce qu’une certaine Mademoiselle Boutin les commercialisât à nouveau vers 1830. Des recherches dans les archives de la ville montrent qu’une soeur Boutin était Ursuline à Saint-Emilion avant que la Révolution n’éclate.
((/public/.macaron1_s.jpg|Un macaron gravé.|R|Un macaron gravé., mai 2009))
Aussi, Claude GireaudSaint-Emilion, gravures et cartes postales, p. 148. Voyez la bibliographie. croit-il que les Ursulines ne quittèrent pas Saint-Emilion mais s’intégrèrent à la société civile : « Tombée dans la misère, (elle) imagina le stratagème suivant pour assurer sa subsistance : à condition d’être nourrie, vêtue, logée pendant un certain temps, la demoiselle Boutin confiait à ses hôtes charitables le secret de la fabrication des macarons de Saint-Emilion. Il est vraisemblable que plusieurs de nos concitoyens, accueillirent à leur foyer cette malheureuse épave de la tourmente révolutionnaire (…). C’est d’ailleurs ce qui explique parfaitement pourquoi plusieurs personnes de Saint-Emilion peuvent se flatter de posséder la recette authentique. »
Très tôt, les macarons de Mademoiselle Boutin acquirent une renommée qui passa loin les murailles de la cité. On les servit en accompagnement de la dégustations des meilleurs crus lors de l’exposition universelle de 1867. Voici encore un extrait de La Pasquette (page 17), roman de Jules Champfleury (1821 – 1889), ami de Victor Hugo et Gustave Flaubert, et publié en 1876 :
« Cadillac était dans une situation frisant la misère, et M. de l’Aubépin trouvait légitime qu’une fois par semaine un bon repas réjouît l’estomac de son hôte.
– Trionne, dit Cadillac, une petite observation… J’aperçois là-bas une assiette de macarons qui n’est pas à sa place. Ce sont des macarons de mademoiselle Boutin, si je ne m’abuse… Ils méritent plus d’honneur, brave Trionne… Au centre les macarons de Saint-Emilion, au centre, s’il vous plaît ; mademoiselle Boutin, qui les a confectionnés, ne vous pardonnerait pas si elle voyait ses produits si fins relégués à l’extrémité de la table… Trionne, passez-moi l’assiette…
Tout en intercalant la pyramide de macarons au milieu des plats de dessert, Cadillac en croquait une demi-douzaine et remuait ses lèvres et son nez comme un lapin broutant de l’herbe fraîche.
– Ils sont à la fois secs et fondants, s’écria-t-il… J’ai toujours rêvé d’aller à Saint-Emilion présenter mes compliments à mademoiselle Boutin sur la parfaite confection de ses macarons. »
((/public/.macaron3_m.jpg|La Veuve Grandet|L|La Veuve Grandet, mai 2009))
Au début du siècle, c’est la Veuve Grandet qui perpétue la tradition au sein de sa fabrique de macarons. Cliché : Librairie des Colporteurs.
Le fait que deux spécialités locales, le vin et les macarons, obtiennent parallèlement un succès hors norme laisse perplexe les observateurs s’attachant à la symbolique. On retrouve dans le macaron, déclinaison gourmande de l’hostie, associé au vin un message eucharistique qui s’ignore. Le corps et le sang du Christ sont inconsciemment détournés de leur religiosité sacrificielle pour s’associer dans une consommation courante, surtout au XIXe siècle, sans référence aucune à l’eucharistie, sauf sur le ton de la blague ou de la raillerie. La ville s’est donc construit une mythologie de la transsubstantiation des plus curieuses dans laquelle on voudrait qu’une femme (une Ursuline) apporte l’hostie et un homme (Saint Valéry, voire Saint Emilion lui-même) le vin.
Cette fiche ne serait pas complète si, Ô heureux internaute dont l’attention s’est finalement échouée sur ces pages, nous ne vous livrions ici la retranscription du parchemin contenant la recette secrète des macarons des religieuses de Saint-Emilion que nous avons pris le soin de dérober à l’attention de l’archiviste. Imprimez-la avant que les jurats nous forcent à fermer ces misérables pages.
Prenez une livre d’amandes douces et un quart d’amandes amères, couvrez-les d’eau bouillante, pelez-les et jetez-les à mesure dans l’eau fraîche, faites-les égoutter sur un linge.
Ayez deux blancs d’oeufs bien battus en neige ; en pilant les amandes dans un mortier de marbre, prenez de ces blancs d’oeufs que vous y mêlez à la quantité d’environ une cuillère sur une poignée d’amandes.
Quand vous les aurez réduites en pâte fine vous y ajouterez une livre de sucre en poudre, une cuillerée de fleurs d’orangers et quatre blancs d’oeufs non battus.
Agitez fortement ce mélange avec une spatule de bois et à peu près une heure. Cela fait, laissez-les ainsi jusqu’au lendemain, que vous divisiez votre pâte en petits morceaux de la grosseur d’un demi-oeuf, vous les rangez à distance d’un pouce sur une feuille papier légèrement saupoudrée de sucre tamisé.
Le degré de chaleur est assez communément celui où l’on sort le pain du four.
Un quart d’heure suffit pour la cuisson.
Vous pouvez mêmejeter un oeil en cuisine ici.
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
Jouxtant la porte Saint-Martin, adossée au rempart et dominant le plateau, le couvent des Ursulines s’étend sur une parcelle de choix qui fut de tout temps occupée. Il manque une étude approfondie sur ce périmètre mais déjà le chercheur Ezéchiel Jean l’envisage dans l’oeuf ovalaire primitif, ce qui pourrait être la première implantation fortifiée de la cité. Peu de traces de cette occupation antérieure restent visibles, si ce n’est le mur extérieur coté remparts avec son chemin de ronde, des restes de fenêtres gothiques et un arc plein cintre rue du Couvent, une jolie porte de service comblée dans le muret d’enclos et un souterrain refuge à proximité. Pour le reste, les bâtiments ont été fortement modernisés.

La façade du couvent des Ursulines au beau milieu de l’hiver. Cliché : Librairie des Colporteurs.
Saint-Emilion a toujours attiré les nouveaux ordres religieux comme les Dominicains au XIIIe siècle. La Compagnie de Sainte-Ursule est beaucoup plus récente, elle a été fondée en 1535 à Brescia en Lombardie (Italie) par Angèle Merici. Approuvé par le pape Paul III en 1544, et par le pape Grégoire XIII en 1572, l’Ordre des Ursulines, dont le but principal était la distribution gratuite de l’enseignement aux filles des classes pauvres, ne tarda pas à s’implanter en France.
L’un des premiers à propager l’Ordre en France fut François de Sourdis, célèbre cardinal-archevêque de Bordeaux. Sous son impulsion, s’ouvriront un couvent à Bordeaux, à Libourne (1606), Bourg-sur-Gironde et Saint-Macaire (1607) puis Saint-Emilion. Celui de Saint-Emilion est créé le 1er juin 1630 par Mademoiselle de La Croix. Il abrite alors 18 religieuses qui servent à l’instruction des jeunes filles de la ville et de la juridiction.
Si un couvent de femmes peut s’installer en toute quiétude dans une grande ville, il en alla différemment dans la petite ville qu’était devenue Saint-Emilion au XVIIe siècle. Surtout qu’au moment de leur installation, les Cordeliers ne sont plus que quatre et les Dominicains réduits à deux frères seulementAnnales du Midi, vol. 111, E. Privat, 1999, p. 450.. Instruire les filles ne fut pas du goût de tous et les Ursulines durent la résolution des diverses tracasseries au réseau influent qu’elles formaient, notamment avec le couvent des Ursulines de Libourne et de Périgueux. On voulut même leur interdire de dire la messe, sans succèsJean Cavignac, La propagande écrite et orale des prêtres réfractaires en Gironde in Diffusion de l’information et du savoir de 1610 à nos jours, CTHS, 1983, p. 195..
((/public/ursulines2.jpg|Image populaire des Ursulines|R|Image populaire des Ursulines, mai 2009))
Image populaire montrant Angème Mérici, fondatrice de l’ordre, enseignant aux enfants. Cliché : Librairie des Colporteurs.
Le sort lui-même les soumit à rude épreuve. Peu après le début de l’enseignement, une épidémie de peste s’empara du diocèse et vida les classes. Si en 1633, le couvent des Ursulines de Saint-Emilion n’accueillait plus que huit écolières, il en comptait 80 dans ses murs avant le terrible fléau. Ernest Allain, Contribution à l’histoire de L’instruction primaire dans La Gironde avant la Révolution, Bordeaux, Féret et fils, 1895, p. 52.. L’ enseignement était particulièrement de qualité à Saint-Emilion où des maîtres de latin intervenaient pour parfaire l’éducation des jeunes filles. Ainsi, à peu de frais, les familles pouvaient doter leurs enfants d’un appréciable bagage culturel.
A la Révolution, c’est l’archiprêtre d’Entre-Dordogne Letellier, curé de Saint-Magne, qui représente les soeurs. Mais il n’empêchera pas que l’ordre soit interdit en 1792 et que l’immeuble soit vendu comme bien national après la Révolution. A l’époque un inventaire dresse l’état des lieux : une église, deux sacristies, un corps de logis sur lequel s’appuyait le cloître, plusieurs autres bâtiments, et le pensionnat composé d’appartements, de chai à bois et à paille, ainsi que des abris à cochons, un puits, jardin et une cour. Le 7 août 1795, l’aumônier des Ursulines est exécuté. Puis la gendarmerie prend possession des locaux et s’y installe. Lorsqu’ on monte le grand escalier du hall, on peut encore voir à l’étage « prison des hommes » inscrit à la peinture sur le linteau d’une porte donnant accès à une pièce éclairée par une fenêtre barrée de fers.
Lorsque la Gendarmerie nationale quitte les lieux, le site est transformé en propriété viticole. Le Couvent, un des premiers crus de Saint-Emilion, profite à son tour de l’enclos de l’ancien couvent des Ursulines. Les rangs de vigne sont plantés là ou jadis les soeurs avaient quelques cultures. Dans la roche près du rempart, un grand escalier est percé et rejoint les carrières que l’on aménage en vastes caves. Enfin, on ajoute le pressoir et les cuves dans un bâtiment accolé aux remparts qui, partant de la route en contrebas, dépasse sur le clos du couvent. Une grande enseigne plantée dans l’enclos et des peintures murales annonçaient fièrement le cru au milieu du XXe siècle.
Les derniers pieds de vigne ont disparu il y a quelques années seulement et, délaissé par ses propriétaires, le bâtiment s’enfonce aujourd’hui dans une triste ruine.
Les Ursulines sont supposées avoir fabriqué les fameux macarons de Saint-Emilion. Voyez la fiche consacrée à cette question qui continue celle-ci.
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
Dans la légende de saint Emilian, l’eau joue un rôle essentiel : les eaux d’une source située dans la vallée revinrent sur leurs cours et remontèrent jusqu’à la demeure de l’ermite pour le désaltérerC’est du moins la version de l’Officium de Guadet que l’on ne trouve pas dans d’autres sources où l’élément liquide n’intervient que lorsque la rivière quitte son lit pour transporter le corps du saint.. C’est cette source qui coule toujours dans l’ermitage et qui a de multiples vertus.

Analyse des eaux de Saint-Emilion au milieu du XXe siècle. Cliché : Librairie des Colporteurs.
Mais il est fort probable que les nombreuses sources de ce qui fut une combe sauvage avant d’être une ville, étaient connues de longue date. Et tout aussi probable que ces sources faisaient l’objet de cultes car elles étaient protégées par des fées ou des esprits. Avant que la religion ne christianise les sources, la population leur accordait déjà des vertus curatives ou des pouvoirs de fécondité.
Il faut dire que le mystère des résurgences pérennes, associé à la nécessité vitale de l’eau, a de quoi provoquer l’émerveillement. Aujourd’hui la proximité de l’eau nous semble assez banale, mais la poésie de l’ aqua simplex est encore fortement présente à Saint-Emilion pour qui sait ouvrir son coeurC’est le cas de Léo Drouyn qui interrompt le récit archéologique se son Gide du voyageur à Saint-Emilion pour consacrer 12 pages aux sources consacrées et à leur mystère..
Plusieurs sources furent captées et maîtrisées de longue date, à l’instar des résurgences au fond de l’église souterraine soigneusement drainées. Deux sources furent particulière aménagées : la grande fontaine et la petite fontaine qui alimentent aujourd’hui chacune leur lavoir. Elles se nommaient encore au XIXe siècle fontaine du Roi et fontaine de la place Gabriel Grimaud, Des eaux publiques et de leur application aux besoins des grandes villes, Paris, Dezobry, 1863.. La fontaine du Roi procure, selon un observateur du début du XIXe siècle, « une eau fraiche, limpide, d’une saveur agréable » tandis que celle de la Place une eau « aussi limpide mais moins fraiche » Actes de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, tome XV, 1853, p. 62.. A l’époque, ces deux fontaines suffisaient amplement à tous les besoins de la population.

Puits couvert de l’auberge résistant aux rigueurs de l’hiver.Cliché : Librairie des Colporteurs.
Les fontaines de Saint-Emilion étaient connues pour abriter des colonies de petits coquillages, les Pisidium Casertanum, qui ont malheureusement aujourd’hui totalement disparus Jean Baptiste Gassies, Catalogue raisonné des mollusques terrestres et d’eau douce de la Gironde, 1859, p. 69.. Particulièrement résistants aux souillures des lavoirs, ce sont ces mêmes coquillages que l’on a retrouvés à Pompéi et qui permettent aujourd’hui aux chercheurs de déterminer les zones polluées ou non de la cité antique Wilhelmina Mary Feemster Jashemski & Frederick Gustav Meyer, The natural history of Pompeii, Cambridge University Press, 2002, p. 260.. A Saint-Emilion, le bouleversement écologique de notre modernité aura activé leur disparition.
Si le bas de la ville et la vallée de Fongaban bénéficient d’une eau courante en abondance, ce n’est pas le cas du plateau qui dut son eau de consommation au creusement de puits. Aussi, les puits de la ville basse ont tendance à être fortement privatifs, soit insérés dans les jardins, soit mitoyens sur deux habitations, tandis que les puits de la ville haute sont volontiers hors-murs et à destination commune. Voici une sélection des principaux puits et sources de la cité :

Deux lavoirs sont à découvrir à Saint-Emilion. Le premier, le plus grand, se trouve au pied de la tour du roi. Il est alimenté par deux cannelles de quatre à cinq centimètres d’ouverture qui déversent une eau abondante.
Un autre lavoir est à dénicher dans un renforcement de la rue de la Petite fontaine, un peu à l’écart du passage touristique. A la fois plus discret et davantage pittoresque, c’est le lavoir que préfèrent la plupart des visiteurs. Ce second lavoir a été construit dans la seconde partie du XIXe siècle. Avant cela, l’eau se répandait à même la rue, lavant en permanence le pavé et prodiguant en été « une fraicheur aussi agréable que salutaire » Actes de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, tome XV, 1853, p. 62..
Une rumeur prétend que ce lavoir fut aménagé tardivement pour éviter que les lavandières des quartiers riches (lavoir du Roi) mêlent leurs eaux de linge aux buandières des quartiers populaires (lavoir de la place). Aussi un abri couvert d’une toiture abritait les lessiveuses du grand lavoir tandis que celles du petit lavoir étaient soumises à toutes les intempériesSi le souvenir de cette hiérarchisation sociale nous a été confié à plusieurs reprises, aucun texte, à notre connaissance, ne vient la confirmer.. Aujourd’hui, les deux lavoirs sont couverts.
Il reste probable que la valeur de l’eau du petit lavoir empêchât longtemps son utilisation aux basses taches, tel que le décrassage du linge. Car, cette eau claire provient de la même source que celle qui alimente l’ermitage. Ce serait, d’après la légende, cette eau que fit jaillir le saint ermite lui conférant de la sorte une valeur sacrée. Aujourd’hui, elle est totalement canalisée par un circuit souterrain qui lui fait continuer sa course sous la villeL’eau des lavoirs passe dans les rues et sous les petits jardins, le promeneur attentif l’entend ici et là au hasard des regards ouverts dans le sol..
Notons qu’un troisième lavoir existait dans la vallée de Fongaban, au pied d’une grotte habitée depuis la préhistoire ; une source abondante l’alimentait en toute saison.

Le lavoir de la petite fontaine au début du siècle d’après une carte postale ancienne. Cliché : Librairie des Colporteurs.
Ces lavoirs ont rendu de grands services autrefois. Le lavage du linge ne consomme en soit que quelques baquets et pouvait se faire dans les jardins de Saint-Emilion, surtout dans la partie haute de la ville qui extrayait l’eau de ses multiples puits. Le rinçage, en revanche, nécessitait de grandes quantités d’eau claire que seuls ces bassins pouvaient offrir. La corvée de linge était du coup plus fastidieuse pour les lavandières du haut qui devaient remonter leur linge.
Le lavage du linge offrait encore au XXe siècle un vrai spectacle. Les buandières, à genoux, jetaient le linge dans l’eau, le tordaient et le pliaient plusieurs fois, le frappaient énergiquement avec un battoir en bois afin d’essorer les grands draps de toute leur eau. Mais ces lavoirs étaient encore des lieux de rencontre et la réputation des lavandières de Saint-Emilion n’étaient plus à faire. Il y avait un ordre et des places à respecter, malheur aussi à celle qui avait mal préparé son linge et qui souillait le bassin. Il fallait alors ouvrir la vanne, évacuer l’eau sale et perdre un temps précieux à attendre le nouveau remplissage en eau claire. Autour de la margelle, on parlait beaucoup. Les rumeurs d’adultère, les secrets mal gardés, les drames partagés, voilà encore ce que l’eau vive emportait avec elle. Mais ces lavoirs signaient aussi le temps de la solidarité. On s’inquiétait de celle qui ne venait pas, on donnait un coup de main au nettoyage du linge des « dos cassés », on faisait la connaissance du « petit dernier » laissé sous la bonne garde de sa grand-mère et on raccompagnait des plus vieilles en poussant leur brouette à linge. De cette société disparue, il ne reste plus rien que leurs lieux de labeur et notre imagination pour les peupler.
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
((/public/.olivier_wine_rendez_vous_t.jpg|Olivier, Sommelier.|L|Olivier, Sommelier., mai 2009))
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
((/public/.blanchez_sq.jpg|Les macarons de Mme blanchez|L|Les macarons de Mme blanchez, mai 2009))
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
Au bas de la rue de la Cadenne, dans l’angle de la place du marché, le visiteur découvre avec étonnement cette large place couverte, abandonnée à tous les vents. Un petit panneau indique avec dérision que les déballages sont interdits par la municipalité. Deux boutiques d’artisanat tentent d’égayer l’endroit délaissé qui ne mérite pourtant pas tant de dédain.
Car elle ne manque pas de pittoresque, cette curieuse halle et le promeneur emporte souvent son souvenir avec lui. Les grandes arches plein cintre qui répondent aux moulures gothiques des encadrements des portes et fenêtres ne manquent ni d’allure noble ni de charme médiéval.
Cette place couverte prolongeait jadis le marché qui se tenait face à l’église souterraine. Elle en était la partie protégée qui servait surtout à l’entrepôt et au commerce du grain. Des lattes de bois venaient s’encastrer dans les ouvertures. Elles achevaient de fermer la halle la protégeant des nuisibles, des rapines et des intempéries. On voit encore les parties évidées dans l’embrasure des ouvertures destinées à recevoir les boiseries. Tout un arsenal de boisseaux et autres mesures taillées dans la pierre reposait là, à demeure. Saint-Emilion avait ses propres mesures qui n’étaient pas celles utilisées par exemple à Libourne, sa voisine. De nombreuses tricheries ont donné lieu à autant de procès contre les marchands peu scrupuleux.

Curieuses mesures à grains qui jonchaient le sol de la halle jusqu’au début du XXe siècle. Dessins d’Emilien Piganeau qui demandait, sans succès, une protection de ces boisseaux. Après avoir été remisés dans la chapelle de la trinité, ils sont aujourd’hui visible dans le cloitre de la collégiale.
Il existait plusieurs places de marché dans l’enceinte de la ville, mais celui-ci, dit de la « basse ville », était un des plus animés. Les murs de la halle résonnaient d’un dialecte occitan gascon aux riches accents et aux tournures parfois scabreuses. Montaigne aimait ce langage populaire comme il l’écrit (Essais, I, 26) : « La recherche des phrases nouvelles et des mots peu connus vient d’une ambition puérile et pédantesque. Puissé-je ne me servir que de ceux qui servent aux Halles à Paris. »
On raconte que la petite porte au fond à droite fermée par une chaîne servit de cachot municipal. Ce qui est plus certain c’est que le bel hôtel de l’étage, au bout de l’escalier, fit un temps office de mairie pour partie et occasionnellement de prison pour une autre partie. Des graffitis dans la pierre tendre des ouvertures, de l’autre côté du mur, sont probablement le témoignage éloquent de longues périodes d’incarcération. Cette pièce, aujourd’hui à ciel ouvert, dispose encore d’intéressants éléments comme une imposante cheminée datée de 1494. Ce serait, d’après des textes anciens, la base d’un édifice s’élevant au dessus des toits que l’on trouve qualifié de « tour de la halle »D’après E. Piganeau, Bull. Soc. Hist.,1898..

Jour de marché sur la place au XVIIe siècle. Détail d’une huile sur toile non attribuée.
Au XVIIe siècle, la tour du roi et les bâtiments autour servaient encore d’Hôtel de ville. Mais l’exigüité et l’éloignement du lieu du centre de la cité ne tardèrent pas à presser les édiles à lui préférer l’agréable halle. C’est sous ses arcades que se tenaient aux beaux jours les réunions publiques. Il fallut cependant attendre l’écroulement du plancher de la salle des archives en 1720, au pied du donjon, pour que l’on envisage d’installer la mairie au dessus de la halle Raymond Guinodie, Histoire de Libourne et des autres villes et bourgs de son arrondissement, tome II, p. 302.. Ce ne serait cependant qu’entre 1764 et 1766 que les aménagements des salles de l’étage furent réalisés. Longtemps fermée, la salle est maintenant occupée par un atelier de gravure sur verre dont l’entrée est libre et l’accueil sympathique. Nous invitons donc le visiteur à gravir le bel escalier et visiter l’ancienne salle des édiles.
Au fronton de l’édifice, lorsqu’on est sur la place du marché, on distingue la date de 1765 (certainement l’inauguration de la salle commune) et plus bas, une inscription à moitié dissimulée par un volet : « Vive la Montagne la Répu». Cette phrase brusquement interrompue fut sans doute gravée dans la pierre peu avant la chute de Robespierre (1794). L’inscription lapidaire rappelle avec une cinglante ironie le triste sort des derniers Girondins, traqués jusque dans les murs de Saint-Emilion et finalement exécutés par les partisans de la Montagne.
Sur le plan architectural, la halle attend encore sa monographie. On distingue nettement les plus vieux bâtiments avec leurs ouvertures moulurées, le linteau en accolade ou la fenêtre à meneau, des aménagements postérieurs. L’arc bas des boutiques s’aligne avec l’arc primitif de la halle et l’espace entre les deux bâtiments, une succession de caves voûtées, est visiblement un remplissage. Les destinations premières et les bouleversements successifs de cet espace restent bien mystérieux.
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
Plusieurs autels de la fin du XVe siècle jusqu’au XVIIIe siècle allègent un peu l’atmosphère oppressante. On trouve la réplique de l’autel XVIIIe, ici placé dans la chapelle saint Nicolas, dans l’église du couvent des cordeliers. François Querre, et avant lui Gérard de SèdeVoyez la bibliographie. y voient une étrange coïncidence. Nicolas (des vocables grecs Niké et Laas) est littéralement le vainqueur de la pierre, l’initié. Ils distinguent sur cet autel plusieurs éléments alchimistes tels la coquille Saint-Jacques (Jacques est le patron des alchimistes) et les serpents qui s’échappent en volutes de flacons hermétiques (symbole du mercure). L’autel est donc une étape sur le parcours initiatique que propose le temple de pierre et, au-delà, la cité entière.
Cet espace sombre et austère fut aussi égayé par des peintures murales, des boiseries et des tentures comme le laissent supposer les restes d’enduits, de cavités, de trous de clous, de niches… Aujourd’hui, ce sont les seuls imposants piliers, tels une forêt de pierre bien alignée, qui absorbent les regards et dévorent l’attention. Essayez tout de même de repérer les quelques éléments sculptés que presque chacun d’entre eux conserve. Ici une croix en creux à l’intérieur duquel un crucifix avait été peint, là une inscription consacrant l’église au culte de Saint-Emilion le septième jour avant les Ides de décembreVII ID DAECEB DEDICACIO S. I. EMILIONIS (le I serait pour Beati).. La date de cette inscription n’est pas donnée : peut-être 1080, si on s’en tient à la date indiquée dans la Charte consacrant l’église comme lieu de culte par Goscelin. Voyez aussi les cavités creusées pour y déposer des reliques (certaines sont encore murées), l’enfeu avec sa remarquable croix de gueules (une croix templière encerclée et bombardée de flammes) qui nourrit le mystère sur celui dont les restes reposent ici.
Ne manquez pas non plus les deux bas-reliefs qui se font face d’un coté et de l’autre de la paroi. L’un représente un centaure, l’arc bandé et décochant une flèche. L’autre deux chevreaux disposés dos à dos et séparés par une tresse échappée de leurs bouches. Pas très loin d’eux, un petit animal à très longue queue a été sculpté. On y voit tour à tour un dragon, un chien attaqué par un serpent, un loup qui danse…

Cette illustration est une des premières représentations des sculptures par François Vatar Jouannet en 1823. L’obscurité et la hauteur ont gêné l’observateur qui, par exemple, ne remarque pas la continuité de la torsade jusqu’au museau des gémeaux. Cliché : Librairie des Colporteurs.
La symbolique de ces ornementations est sujette à discussions animées. En général, on s’accorde à leur reconnaître une consonance zodiacale : le sagittaire faisant face aux gémeaux. Mais qu’indiquent ces signes du zodiaque ? Pour les uns, c’est un repère temporel qui marque des dates importantes de la vie paroissiale. Peut-être les solstices d’hiver et d’été. Pour d’autres, parce que ces signes sont en opposition polaire, ils tracent un repère céleste. De cette possibilité est née une autre hypothèse : Saint-Emilion aurait été bâtie en fonction des douze maisons du zodiaque et l’église souterraine en serait l’écliptique. Une autre interprétation encore ? Le centaure poursuivant des chevreaux symbolise la force brutale et la vengeance. Saint Basile le considère comme une représentation du démon.
Pour les autels, le zodiaque de Saint-Emilion, les sculptures des chérubins et le grand bas relief du fond, nous avons créé des fiches spécifiques.
Vous verrez aussi au plafond un percement cylindrique qui rappelle la cheminée des âmes de la rotonde, dans la galerie parallèle. En réalité, cet orifice a peu à voir avec une quelconque symbolique mystique. C’est tout simplement le trou par lequel on descendait les cordes qui actionnaient les cloches. Le lourd clocher est situé juste au dessus de vos têtes, écrasant de tout son poids les petites fissures de la voute. Il est prudent de ne pas trop s’attarder sous cette partie de la voute 🙂
Abandonnée à la Révolution, l’église n’a cessé d’écrire son insolite histoire. Saisie comme bien national, on aura bien essayé de vendre l’église et son clocher mais personne n’en voulut. En 1791, un rapport de l’évêque constitutionnel indique que « les ornements se pourrissent, les hosties s’y corrompent. (…) Les pierres du sanctuaire et celles de l’autel ainsi que des piliers qui l’environnent sont toutes couvertes d’une mousse verdâtre et humide et qu’en les touchant elles tombent en petits morceaux ».
En 1793, sous les heures terribles de la Terreur, alors que Guadet et ses amis se cachaient dans d’autres souterrains, des révolutionnaires s’en prirent au portail et décapitèrent les statues une à une. Ils n’en épargnèrent qu’une seule parce que, parait-il, elle semblait porter un bonnet phrygien ! A l’intérieur, ils défoncèrent les sarcophages et éparpillèrent les ossements. « C’était une chose horrible à voir, écrit un contemporain, que cette église naturellement sombre, tapissée de tombeaux entr’ouverts et jonchée de morceaux de squelettes. »Maurice Graterolle, p. 103. Voyez la bibliographie.
A cette époque encore, l’église devint une réserve de salpêtre lorsque les pays coalisés voulurent mettre un terme à la Révolution française. La Convention ordonna qu’on gratte les parois des carrières et grottes pour récupérer le précieux nitrate de potassium qui, mélangé à du soufre et à du charbon de bois, produisait de la poudre à canon. Les murs de l’église furent grattés et les derniers vestiges des peintures rupestres explosèrent et s’éparpillèrent quelque part sur les rives du Rhin.
Le calme revenu, l’église fut louée pour entreposer du bois. Le grand autel du XVe en garde un cuisant souvenir : c’est par la fenêtre percée au dessus de lui que les marchands rentraient les troncs. Les clochetons n’y ont pas survécu.
En 1806, l’église est restituée à la fabrique La fabrique désigne l’association des personnes (prêtres et laïcs) chargées de l’entretien d’une église. et en 1837, après un demi-siècle d’abandon, le cardinal Donnet intervient pour la rendre au culte. On y célèbre alors l’Office au moins une fois par an, en principe le vendredi qui suit la Toussaint. L’abbé Philippot puis l’abbé Bergey y prononcent de mémorables prédications, perchés au sommet de la galerie qui donne sur l’extérieur, avant que n’éclate la seconde guerre mondiale.
L’histoire de l’église de Saint-Emilion s’écrit ensuite avec Georges Huisman (1889- 1951), créateur du festival de Cannes et directeur général des Beaux Arts sous le Gouvernement Édouard Daladier. Dès 1936, la remilitarisation de la Rhénanie et le plébiscite en faveur d’Hitler lui font prendre conscience de la possibilité d’un conflit, sans doute mondial, certainement meurtrier. Dès cette époque Georges Huisman débloque un budget et commence à fabriquer des caissons protecteurs spécialement conçus pour les panneaux de vitrerie. Il s’assure la collaboration de Jean Verrier et, ensemble, ils élaborent et rodent un plan de sauvetage, en toute discrétion. Aussi, lorsque la guerre finit par éclater, 50 000 m2 de vitraux furent démontés en quelques jours à travers toute la France. Les vitraux furent aussitôt placés dans les caisses préparées de longue date et transportés dans des lieux tenus absolument secrets. Une des plus importantes caches confidentielles fut l’église souterraine de Saint-Emilion. Huisman connaissait l’endroit et estimait que ce gigantesque coffre de pierre, à l’abri des regards trop indiscrets, était un des plus aptes à abriter de véritables trésors de l’art médiéval. C’est ainsi que pendant toute la durée de la guerre, sans que les Saint-Emilionnais ne s’en doutent, leur église paroissiale abrita les plus beaux trésors verriers de France. On croit que les verrières de Chartres et de Bourges reposèrent un temps dans l’obscurité de l’église souterraine.F. Gébelin, Georges Huisman, in Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, vol. 116, 1958, p. 303.

Le zodiaque du vitrail de la cathédrale de Chartres a sans doute voisiné les gémeaux et le sagittaire de l’église de Saint-Emilion. Cliché : Félix Potuit.
Lieu de plus en plus fréquenté par les visiteurs, l’église souterraine vit son heure de gloire entre la fin de la guerre et la fin des années 80. A cette époque, le nettoyage des couches qui recouvrent la pierre laisse apparaître d’importantes fissures jusque là dissimulées. On pense d’abord que c’est le poids du clocher, énorme structure appuyant sa masse sur les voûtes de l’église qui est la cause de ces dégâts. On craint le pire, un effondrement du clocher écrasant l’église dans un seul et même désastre. En 1990, l’église ferme ses portes derrière ses derniers visiteurs et un chantier de quinze mois débute. Les maçons s’affairent pour couler 38 colonnes de béton qui vont soutenir la voute en attendant mieux. L’espace souterrain ne ressemble plus à rien lorsque les portes sont ouvertes à nouveau en 1991. L’église prend des allures de parking abandonné en plein chantier : la multitude des colonnes arrête les regards et les poutrelles métalliques dissimulent la pierre.
Des recherches plus poussées montrent que le clocher n’y est pas pour grand-chose dans la détérioration de l’église. En fait, c’est le rebouchage par des remblais des drains d’écoulement des eaux, bien prévus depuis les premiers temps du creusementDes poteries trouvées dans les rigoles des drains ont été datées par thermoluminescence du début du XIe siècle. , qui a failli causer la perte du monument. Il semble que les bâtisseurs du XIIe avaient décelé la présence de sources souterraines et s’étaient donné les moyens techniques de remédier à cet inconvénient. Une fenêtre archéologique au sol vous permet d’observer un de ces drains. Par les modifications successives du sol, notamment pour creuser des tombes à même le roc, l’eau ne s’écoulait plus normalement et remontait par capillarité du calcaire le long des piliers, fragilisant leur sommet et les voutes.
En septembre de l’année 2000, on décide de détruire les piliers pour les remplacer par les actuels corsets métalliques, tout aussi efficaces et beaucoup plus discrets. Par ailleurs, la technologie pointue de l’électrophorèse est en cours d’application. Elle opère une séparation des molécules qui se fixent sur un support poreux en stabilisant la phase liquide. Cela permettrait à terme de redonner aux piliers toute leur vigueur. En 2003, l’église est à nouveau offerte à la curiosité des visiteurs qu’elle reçoit en son sein et en 2004 Geraud Periole lui assure un éclairage spécialement conçu. Ce n’est plus la lumière naturelle qui assure l’éclairement de l’église au grand regret de ceux qui se souviennent des puissants rais de lumières pénétrant à dates spéciales. Mais cette lumière céleste avait tendance à favoriser la pousse de champignons nocifs pour le calcaire et les volets ne sont plus maintenant ouverts qu’en de rares occasions dans l’année. Pour les plus motivés d’entre nous, une petite enquête est suffisante pour connaître ces dates en or où quelques privilégiés font une visite à la lumière naturelle.
Aujourd’hui mieux que jamais, l’église souterraine offre aux regards ce que l’archéologue Léo Drouyn qualifiait dès 1859 de «monument unique au monde, original au plus haut degré et plein de mystères ».
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))
L’église souterraine de Saint-Emilion n’a jamais cessé, depuis sa conception, de frapper les esprits et de stimuler l’imagination. Le témoignage éloquent de François QuerreSaint-Emilion, miroir du vin, p. 48. Voyez la bibliographie. exprime ce que des millions de visiteurs ont sans doute ressenti :
« L’ombre a d’étranges formes qui se meuvent. Le silence respire. Les autels émettent de bizarres radiations. L’église est habitée. Paradoxalement, ces forces inconnues n’ont rien d’effrayant. Elles sont familières comme si l’entrée dans un temple de pierre était une descente au fond de soi. Le rideau des connaissances et des certitudes s’affaisse. Une créature mal identifiée s’engage dans la nef et remonte une double haie d’épaisses colonnes jusqu’à l’autel principal. »
Souterraine, l’église est forcément discrète vue de l’extérieur, dissimulée sous le relief naturel de la combe. Lorsque les tables des cafés et restaurants se déploient sur la place du marché, on marche devant ce monstre architectural presque sans le remarquer. Souvent, le passant n’a aucune idée de l’expérience qui l’attend de l’autre coté du rocher. Peut-être n’est-ce pas tout à fait un hasard. Lors des temps troublés de son édification probable, au tout début du XIe siècle, on aura voulu la soustraire de la vue immédiate d’envahisseurs aptes à en piller les richesses. Ou peut-être y pratiquait-on des rites initiatiques tenus secrets. Toutes les hypothèses sont bonnes à examiner pour tenter de comprendre cet étrange édifice. Car le creusement d’une église souterraine de cette ampleur est loin d’être une pratique courante au moyen âge. Les églises souterraines sont en réalité exceptionnelles en France. On en trouve d’autres à Aubeterre, à Saint Georges de Gurat, dans quelques petites chapelles tourangelles et en Auvergne, aux grottes de Jonas. Mais celle de Saint-Emilion reste la plus grande d’Europe si on excepte les espaces souterrains reconvertis en lieux de culte comme la mine de sel de Wieliczka en Pologne.
Avant de pénétrer dans les profondeurs de la roche, installons-nous sur la place du marché. Cette place était jadis le cimetière de l’église souterraine et cette église était elle-même devenue l’église paroissiale. A partir du XVIe, l’église ne fut plus vouée au culte de Saint-Emilion mais à celui de Saint-Pierre. En fait, les religieux réguliers abandonnèrent très rapidement l’église souterraine aux habitants de la citéIls n’y restèrent même pas un siècle. pour s’installer dans la collégiale. Donc, le bel arbre, au feuillage prodiguant une ombre si agréable l’été, nourrit avec vigueur sa sève des atomes des vieux Saint-Emilionnais. Et quand le bel automne passe sur la place, qu’une feuille se détache pour se poser sur l’épaule d’un visiteur installé à la terrasse d’un des cafés, c’est un peu du corps d’un ancien qui s’invite à sa table.
((/public/.cochons_s.jpg|Le cochon du marché|L|Le cochon du marché, mai 2009))
Les cochons se montrent parfois très indisciplinés.Cliché : Librairie des Colporteurs
Déjà au XVIIe siècle le marché et le cimetière se disputaient la place et il n’était pas rare que les cochons s’échappent de leur enclos, envahissent le cimetière et commencent à chercher la truffe sous les tombes. Aussi, en 1687, l’archevêque de Bordeaux accepta-t-il de céder un peu du cimetière aux marchands à condition que ces derniers bâtissent un muret séparant efficacement l’un de l’autreArchives départementales, pièce XLV du 6 mai 1687, anciennement dans les papiers du Comte Malet de Roquefort.. Entre les XIIIe et XIVe siècles, l’église elle-même accueille des enfeus sépulcraux Tombes encastrées dans l’épaisseur du mur généralement réservées aux personnages importants. puis se transforme en cimetière paroissial entre les XVIe et XVIIIe siècles. Le sol se creuse de fosses et on installe un pourrissoir.
Cette dernière invention est intéressante à observer quand vous serez dans l’église. Il révèle un espace en suspension, sans doute pour placer une grille destinée à soutenir les cadavres le temps de leur décomposition. Le liquide de putréfaction s’écoulait dans les fosses tandis que les ossements se nettoyaient progressivement des chairs. Les os étaient récupérés et pouvaient être réunis à d’autres dans le cas de sépultures familiales ou placés dans des enfeus.
A vrai dire la mort est omniprésente autour et dans ce site, ce qui ne fait que lui ajouter une énigme supplémentaire. Pourquoi tant de cadavres ont convergé en ce point précis du monde ? On a trouvé des tombes autour du clocher, sous la place du marché, dans le sol de l’église souterraine, sur ses parois, au sol et sur les parois des galeries. On en trouve encore creusées dans la falaise, dans les jardins et sur les parois de l’hôtellerie de luxe. Encore devant la chapelle de la Trinité. Le coeur de Saint-Emilion est une nécropole.
Mais n’entrons pas tout de suite dans l’église et remontons encore le temps bien avant, projetons-nous au VIIIe siècle. Il n’y a alors en face de nous qu’une falaise de pierre qui descend en pente plus ou moins régulière jusqu’au milieu de la place. A la mort du saint ermite (en 767), on suppose que ses compagnons commencèrent à creuser une galeriePeut-être un agrandissement du refuge du saint Ermite si on considère que l’actuel ermitage est un faux relativement moderne, peut-être un abri sous roche naturel ou peut-être encore le lieu d’une sépulture primitive. ou, tout du moins, que quelqu’un creusa une carrière dans cette roche. Très probablement à l’emplacement de la galerie qui prolonge le portail à gauche.
Ce souterrain est resté très modeste longtemps, jusqu’à la fin du XIe siècle. Puis un grand chantier débuta au tout début du XIIe siècle pour des raisons encore bien mystérieuses. La thèse la plus discutée actuellement fait intervenir un chevalier de retour de la première croisade : le vicomte Pierre de Castillon. Personnage puissant, il règne sur l’Entre-Dordogne et les affaires religieuses de saint-Emilion sont soumises à son pouvoir direct.
Cette croisade est autant une aventure religieuse et militaire qu’une expérience humaine. Pierre de Castillon, bien loin de sa terre de Dordogne, découvre Constantinople, assiège Antioche, traverse l’Anatolie et participe peut-être au sac de JérusalemOn suppose qu’il rejoint les chevaliers gascons réunis en août 1096 au Puy-en-Velay sous la bannière du Comte de Toulouse. En septembre 1097, il participe au premier raid sur Antioche et on lui confie la garnison du château de Marash puis, en février 1099, il prend la tête d’une chevauchée sur Tripoli. Voyez dans la bibliographie Le Festin, p. 139.. Impressionné par les monuments qu’il visite, en particulier le Saint Sépulcre, Pierre de Castillon de retour dans ses terres a le profond désir d’y concrétiser les souvenirs d’Orient. Ainsi met-il en place plusieurs chantiers comme l’église souterraine d’Aubeterre et celle de Saint-Emilion.
L’archevêque de Bordeaux voit d’un mauvais oeil ce laïc qui gère pour son compte ces incroyables chantiers religieux, nomme les représentants du pouvoir spirituel et cause bien des tracas à la communauté de chanoines déjà installéePour Jean-Luc Piat, chercheur pour le bureau d’études Hadès, et pour Léo Drouyn la première église où officiait une communauté occupait l’emplacement des actuelles catacombes. Chapelle fermée au public, on ne devait y pénétrer que par autorisation spéciale. Si c’est bien le cas, le percement de l’église souterraine à quelque pas dut représenter un incroyable bouleversement des habitudes établies.. Aussi est il frappé d’anathème. Cela ne l’ empêche pas de poursuivre son rêve architectural, animé d’une forte motivation. On suppose encore que la conduite de Pierre de Castillon ne fut pas irréprochable en Terre Sainte et que, par la détermination de sa foi religieuse, il voulut ainsi s’assurer bonne place au ciel. Peut-être encore l’activité économique générée par la captation d’une partie des pèlerins de Saint-Jacques assurait-elle une rentabilité financière non négligeable à l’entreprise. On peut imaginer que la présence de reliques importantessaint Emilion, saint Avit & saint Valéry. abritées dans un monumental rocher, symbole de la présence divineMichelle Gaborit pense que le creusement de l’église est une concrétisation des Psaumes de David où Dieu est assimilé à un rocher protecteur. L’Eglise souterraine de Saint-Emilion, in Congrès archéologique de France, 1987., dut attirer nombre de pèlerins en transit dont bonne part, par ce détour, devait résider ou se nourrir dans la cité.

Le vicomte de Castillon fut un chevalier très actif durant la première croisade. Source : British Library Manuscript – Yates Thompson Collection (No. 12, f. 29). Cliché : Wikimedia commons.
On n’a toutefois aucune preuve que cette église souterraine soit bien l’oeuvre du croisé Pierre de Castillon. Pour autant, un faisceau d’indices emporte la conviction de Jean-Luc Piat, chercheur au bureau d’études Hadès. Il y a d’abord la présence d’une seconde église souterraine à Aubeterre, seigneurie elle aussi des vicomtes de Castillon, comme déjà signalé. Ensuite, il y a la coupole de la rotonde qui évoque celle de l’église de la Résurrection de Jérusalem et enfin, les motifs animaliers, connus sous le vocable des « gémeaux », affichent un style oriental inédit dans la région à l’époque.
Où Pierre de Castillon a-t-il pioché l’idée d’une église souterraine ? Pour Jean-Luc Piat, toujours lors de la première croisade, lors de la traversée de la Natolie et peut-être précisément à Cappadoce, région truffée d’habitats troglodytes.
A l’inverse François Querre ne cautionne pas l’hypothèse du vicomte de Castillon. Pour cet érudit émilionnais, il n’y a d’abord aucune preuve que ce dernier soit réellement revenu en vie de la croisade. Et quand bien même ce serait le cas, il serait rentré ruiné par cette longue et couteuse campagne. Jamais il n’aurait pu rassembler les fonds nécessaires à un tel chantier.
Si des incertitudes demeurent sur le creusement de ce monument in-saxo, il n’en reste pas moins qu’il est là et bien là, offert aux chercheurs comme une énigme en creux avec ses discrètes traces d’un rituel symbolique avancé (la rotonde et les bas reliefs).
Pour donner un aspect régulier à la façade extérieure de leur église, les bâtisseurs de l’an 1100 n’hésitèrent pas à couper toute une tranche de la falaise en bas, de la largeur de l’église qu’ils voulaient réaliser. Ils commencèrent à creuser les galeries depuis le sol, elles sont une élévation de 7 mètres une fois à l’intérieur. Arrivés à une certaine profondeur de creusement, la hauteur de la roche leur sembla suffisante pour un creusement plus ambitieux. Ils s’attaquèrent une seconde fois à la falaise pour la retailler à nouveau, laissant en retrait les premières galeries comme on le voit encore aujourd’hui. Sur cette nouvelle entaille, ils dessinèrent des arcades plein cintre pour y placer les futures fenêtres. Ces bâtisseurs grimpèrent alors en hauteur et s’introduisirent par des orifices que l’on voit encore à l’intérieur de l’église, maintenant au sommet des parois. Patiemment, ils évacuèrent la pierre en faisant ainsi descendre le niveau du sol. Au début du chantier, ils durent travailler accroupis ; à sa clôture, presque onze mètres de vide séparaient leur tête du sommet des voûtes où ils avaient commencé leur oeuvre.
Pour terminer l’église, ils ne leur restaient plus qu’à élever les murs à l’aplomb du rocher, régularisant ainsi la façade. Pour plus de sécurité, ces murs furent garnis de contreforts plats. Finalement, des apports de terre finirent de régulariser le sol du cimetière autour du clocher (actuelle place des créneaux et jardins du Plaisance).
Plus tard, au XVe siècle, les fenêtres basses ont été garnies de compartiments gothiques flamboyant qui jurent un peu avec la simplicité austère du reste de l’édifice. Et voilà, ce jour là, le chantier était définitivement clos.
Si le creusement correspond à ne pas en douter à un programme prédéfini, en revanche le chantier ne fut pas conduit en un trait. Plusieurs siècles ont été nécessaires pour aménager les chapelles et orienter définitivement le sanctuaire. Les différentes étapes du creusement ont laissé des traces que l’on peut s’amuser à retrouver une fois à l’intérieur. L’exercice est digne d’une enquête pour un Sherlock Holmes archéologue. Voici quelques indices : observez le bandeau sur le pourtour, il vous donnera une idée du premier palier. Voyez aussi le bloc au fond à droite de l’église (au nord), dernier élément à avoir été excavé.
La façade légère de l’église, presque riante, ne laisse rien deviner de la sombre lourdeur monolithe intérieure. A gauche, en contrebas, un élégant portail sculpté a subi le vandalisme des révolutionnaires.

Le beau portail de l’église souterraine en 1840, gravure de Léo Drouyn. Cliché : Librairie des Colporteurs.
« Ces sculptures, surtout celles du milieu du tympan, sont fort dégradées mais cependant, à en juger par ce qui reste, je ne crois pas qu’on puisse en trouver de plus belles à cette époque dans le département de la Gironde », écrit Léo DrouynLéo Drouy, Guide du voyageur, p. 86. Voyez la bibliographie. qui connaît bien son sujet.
Le spectateur assiste à une scène du Jugement Dernier, thématique récurrente à Saint-Emilion et très à la mode aux XIIIe et XIVe siècles. Un des ressuscités, pressé de sortir de sa tombe par les deux anges, oublie les spectateurs et expose quelque peu audacieusement ses rondes fesses.
Deux autres anges, au somment du tympan, déposent une couronne sur la tête du Christ accompagné de la Sainte Vierge et de saint Jean à genoux. Derrière eux, deux anges portent les instruments de la passion. Des anges, il y en a encore sur les voussures, parmi d’autres personnages, sans doute des apôtres.
((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))