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  • Le Petit pont aérien

    • Accès : l’arceau de la Cadène au départ de la rue de la Cadène, en son sommet, c’est à dire au niveau de l’intersection avec la rue Guadet.

    Tout le monde vous le dira : le curieux arc pittoresque de la cadène qui se jette entre les deux murs d’imposantes bâtisses, c’est tout ce qu’il reste de la septième porte de la ville. Seule porte qui soit bâtie intra muros, sa fonction fut de séparer la ville haute de la ville basse en cas d’invasion. On la nommait porte de la Cadène car elle se fermait par une chaîne (catena en latin).

    Si cette explication, très largement adoptée, a le mérite de la cohérence, en revanche elle n’a pas celui de l’authenticité.

    L’arceau qui laisse perplexe sur une photo du début du XXe siècle. Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Dans des travaux récents Lors du colloque Ausonius tenu en décembre 2008 à Saint-Emilion. sur le développement urbanistique de la cité au cours des siècles, Ezechiel Jean-Couret propose un tracé d’enceinte sur la partie basse de la ville, qui préexistait à celui plus vaste entrepris pour l’enceinte englobante de réunion (XIIe-XIIIe siècle) qui correspond aux remparts actuels. Cette enceinte primitive pourrait justifier la présence d’une porte à cet endroit et le fait que l’arc s’appuie à droite sur une maison qui a de fortes caractéristiques du XIVe siècle, rend possible sa construction à cette période antérieure. En revanche, si la porte a été construite au moment de l’édification de l’enceinte de réunion, cela implique une intention formelle de séparer les deux parties de la ville. Or, à ce jour, nulle part on ne trouve une preuve historique d’une volonté de scission entre la ville haute et la ville basseCompte tenu de la feuillure, ce serait la ville haute qui se protégerait de la ville basse par des portes. Difficilement soutenable., qui plus est avec une chaîne.

    Pour Louis SerbatLouis Serbat, Saint-Emilion, p. 42. Voyez la bibliographie. cet arc est, par ailleurs, beaucoup trop haut pour jamais avoir eu de vantaux fermant le passage et pour Léo DrouynLéo Drouyn, Guide du voyageur, p. 137. Voyez la bibliographie., cet arc est tout sauf une porte : «Une grande arcade ogivale fort pittoresque dont il m’a été impossible de deviner l’utilité, à moins que ce ne soit pour permettre de communiquer de la Commanderie avec une autre maison fort ancienne située de l’autre côté de la rue, et dans laquelle se trouvent des voûtes en berceau assez curieuses. » Du coup, la communication de tous ces bâtiments (actuelle commanderie, maison de la Cadène et maison en face) forme un immense complexe urbain dont la fonction reste encore mystérieuse. Louis Serbat voit une piste à suivre dans le chemin de ronde : ce chemin de ronde bordé d’un parapet et flanqué d’une échauguette sur la commanderie devait se poursuivre par la maison de la Cadène puis d’autres bâtisses via l’arceau. On serait ici en présence d’un système de défenses intérieures de la ville.

    Quant à l’hypothèse de la chaîne barrant la circulation, si Serbat la discute, Drouyn ne la retient même pas. L’emplacement porte tout simplement le nom de son propriétaire. Et Léo Drouyn de le prouver avec un acte de concession daté de 1291, consigné dans les Rôles gascons. Dans ce document, il est cédé à Guillaume Renauld de la Cadène un emplacement appelé Porte de la Cadène « De placea et pertinentiis in loco vulgariter appelato Porta de la Cadena concessa Guillelmo Reginaldi de la Cadena Burgensi sancti Emiliani. ». Albert Dauzat atteste cette utilisation nominale de Cadène à l’occasion de l’étude toponymique de Cadouin, dont il fait remonter l’origine au nom d’homme gallo-roman « Catonius ». Par ailleurs, il propose aussi le nom provençal du genévrier, cade, comme piste probable. On le voit bien, la chaîne, obstacle barrant qui n’arrête pas grand chose, n’est jamais qu’une hypothèse parmi d’autres.

    ((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))

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  • Le Câlin des Dauphins

    • Accès : la maison de la Cadène se situe à gauche de l’intersection de la rue guadet et le la rue de la Cadène, une ruelle abrupte qui descend sur la place du marché.

    Ce qu’on a pris l’habitude d’appeler la « maison de la Cadène », du nom de l’emplacement où elle se situe et que l’on nommait autrefois « la maison Coste », n’est pas à l’origine un élément architectural isolé. En effet, le percement de la rue Guadet pour offrir la traversée du bourg aux véhicules a détaché cette maison de celle qui se trouve de l’autre coté de la rue et que l’on nomme « la commanderie ». Pour les observateurs du XIXe siècle, ces bâtiments formaient un ensemble homogène et équilibré. Les quelques dessins qu’a laissés Léo Drouyn donnent la mesure du massacre qu’a constitué ici le passage de la route.

    La maison de la Cadène sur sa façade la plus ancienne, au début du XXe siècle. Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Aujourd’hui, on peut encore avoir l’intuition d’une unité si on descend un peu la rue de la cadène et que l’on observe l’ouverture obstruée, proche de la tour carrée qui reçoit l’arceau. Les vestiges de la fenêtre géminée romane que l’on observe en hauteur ne sont pas sans rappeler les décorations de la commanderie qui, elles-mêmes évoquent celle du palais cardinal. L’unité esthétique de l’ensemble laisse supposer un programme architectural étendu sur toute la cité. Mais la destination de la seule maison de la Cadène, elle, reste un mystère : à quoi pouvait servir un si important complexe de bâtiments qui présente une face romane austère d’un coté et une face plus riante et à pans de bois Renaissance de l’autre ?

    Cette façade de bois XVe ou XVIe se situe du côté de la rue de la Cadène qui descend vers la place du marché. Son rez-de-chaussée n’était pas muré tel qu’il paraît aujourd’hui. Il faut aussi lui imaginer ses ouvertures d’origine et un seuil de porte bien au niveau de la rue qui a été creusée depuis. Alors on a une idée de son élégance avec ses deux étages en léger encorbellementEncorbellement est un dérivé de corbel (corbeau) et signifie le détachement des étages (ici deux étages) en saillie sur le rez-de-chaussée. Outre l’avantage d’agrandir la superficie des étages sur l’emprise au sol, cette technique vise surtout à protéger la façade des eaux de ruissellement..

    Cette maison à pans de bois est la seule que la ville ait réussi à conserver. Autrefois, elles n’étaient pas rares ; plusieurs égayaient la cité de leurs façades animées de personnages et de végétaux. L’avant dernière encore debout, la maison Troquart, fut détruite lors du percement de la rue Guadet. Celle qui nous reste à contempler offre encore de beaux restes bien que ces derniers soient encore livrés sans protections aux intempéries cruelles. Trois poteaux en bois sont plantés dans le sol et soutiennent les appartements du premier étage. Au sommet des poteaux, des anges fort mutilés se dressent sur des écussons effacés. De chaque coté, deux gueules de monstres mordent une torsade horizontale composée de disques et de feuilles. Aux angles de la frise juste au dessous, des animaux très usés avalent eux aussi une moulures que deux dauphins enlacent avec leur queue en son centre. Cette sculpture décorative compose un jeu sur des influences Renaissance et italiennes. Les étages sont plus classiques, encore que le travail d’étrésillons Les étrésillons sont ces étais en bois qui maintiennent l’écart entre les poteaux. en croix de Saint-André soit particulièrement remarquables.

    La maison possède encore de l’autre coté une remarquable tour polygonale. C’est entre cette tour et la commanderie que se situait le bâtiment de jonction. Voici une astuce pour passer de l’autre coté du mur. Laissez-vous tenter par un café ou une boisson rafraichissante dans le bar qui occupe une partie de l’immeuble. Cela vous donnera le droit d’aller aux toilettes. Poussez alors la lourde porte en bois et bénéficiez ainsi du privilège d’emprunter le bel escalier à vis du XVIeme que contient cette tour.

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  • L’Anomalie qui fit basculer l’Histoire.

    • Accès : la maison de la famille Guadet est située au nord de la ville, au bout de la rue Guadet, en face des Grandes murailles et de l’autre coté du rond-point. On repère facilement la maison à son jardin entouré de grilles, aujourd’hui parc public.

    Danton, Robespierre, tous observent l’orateur qui s’installe à la tribune. Depuis la prise de la Bastille en 1789, les Girondins ont conquis le pouvoir et tiennent les rênes des destinées de la France. Elie Guadet et ses amis façonnent le nouveau visage de l’histoire ; la vie de Louis XVI et la monarchie constitutionnelle sont entre leurs mains.

    Ce jour là, sans aucunes notes, Elie Guadet improvise un discours sur le maintien de la Constitution. « Il manie l’ironie en maître (…) il a le don précieux de l’émotion. Ce redoutable sagittaire est aussi un tendre, ou du moins un sensitif. Et, dans cette brève harangue, il réussit, en quelques phrases sans étude, à soulever l’Assemblée législative en un élan spontané de patriotisme. »F. Crastre, Les plus beaux discours des Girondins, Paris, éditions du Centaure, s. d., p. 36.

    Deux portraits d’Elie Guadet, l’un d’après Fouquet et l’autre d’après Bonneville. Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Malheureusement, le piège de l’histoire va se refermer sur Elie Guadet et les Girondins. Ils tenteront bien par tous les moyens de faire respecter la nouvelle constitution tant par le roi que par les révolutionnaires. Mais trop de défaites militaires conduisent l’ennemi aux frontières, le roi est soupçonné de collusion et la colère des sections monte. La modération et la tempérance des Girondins ne parviennent pas à éviter le soulèvement de Paris lors des terribles journées du 31 mai et du 2 juin 1793. C’est un véritable coup d’Etat qui voit la Convention nationale cernée par des canons. La chute des Girondins est définitive, la Montagne prend le pouvoir et la Terreur peut commencer.

    Apprenant la chute d’Elie Guadet et des Girondins, Lyon, Bordeaux, Marseille et bien d’autres villes encore se coupent du pouvoir central parisien. La France entame une véritable « révolte des provinces », les sections s’arment pour marcher sur Paris mais les Girondins ne parviennent pas à prendre la tête de cette armée de partisans. La plupart sont arrêtés à Paris même, d’autres s’échappent hors de la capitale. Guadet, Louvet, Buzot, Pétion (le maire de Paris), Valady et Barbaroux, « six des plus fameux de ce célèbre parti de la Gironde, naguère encore idole et orgueil de la Révolution française »Pierre Bertin-Roulleau, La Fin des Girondins, p. 18. Voyez la bibliographie., traversent la Bretagne et regagnent Bordeaux. Un septième Girondin, Salle, les rejoint.

    Les Montagnards Ysabeau et Tallien étant déjà arrivés à Bordeaux pour réprimer la protestation, Guadet décide alors de conduire ses amis à Saint-Emilion, sa ville natale, dernière terre d’asile lui semblant encore sûre.

    Le 27 septembre 1793, alors que les proscrits sont traqués dans toute la France, Elie et ses compagnons viennent frapper à la porte de la maison que nous voyons ici-même. L’aspect général de la bâtisse n’a pas changé depuis, et on peut facilement dérouler le fil des événements qui conduiront au drame. Seule a disparu une belle rangée de tilleuls ombrageant la cour et la séparant du parc.
    Ce soir de septembre, donc, le père d’Elie Guadet leur ouvre la porte. C’est un homme de 74 ans, plein de prestance. « Son port, ses manières, son langage annonçaient un homme habitué à parler avec autorité. »Joseph Guadet, Les Girondins, p. 378. Voyez la bibliographie. A ses cotés, se tient un des frères d’Elie, Saint-Brice Guadet, adjudant-général récemment suspendu de ses fonctions à cause de la proscription de son frère. Ils reconnaissent aussitôt Elie et la plupart de ses compagnons. Ils savent qu’en leur permettant de franchir le seuil de la demeure familiale, ils risquent tous la mort. Pourtant ni le père ni le frère n’hésitent une seconde à étreindre Elie et à faire entrer les conventionnels pourchassés.

    Coupe et vue d’ensemble de la maison tels que publiés dans Les Trois Girondines (…) d’Armand Ducos en 1895. Le croquis du haut indique la cache possible au bout de l’échelle. La situation de la cache concorde cependant peu avec le procès verbal, sauf à considérer que le toit de l’appentis poursuivait la déclivité du toit principal. A cette condition, l’espace indiqué pouvait effectivement demeurer imperceptible à l’oeil nu. Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Le 6 octobre, Tallien, persuadé que les Girondins sont à Saint-Emilion, se rend dans la cité. On prévient les Girondins à temps. Les perquisitions sommaires de Tallien ne donnant aucun résultat, il fait arrêter de nombreux suspects, dissout le conseil municipal, nomme de nouveaux membres et ne quitte les lieux qu’après avoir terrorisé la population. Deux gardes sont même laissés en faction permanente devant la maison Guadet.

    Les députés réfugiés sont désormais cachés dans une grotte au fonds du puits de la maison de Madame Bouquey. Louvet commence à y écrire ses mémoires, mais les conditions épouvantables et le danger permanent obligent le groupe à se séparer le 12 novembre.
    Après avoir erré, Salle et Guadet retournèrent dans la maison dont la garde venait juste d’être suspendue. On leur donna asile sous la charpente de l’appentis que l’on voit encore, bien que très modifié, adossé à gauche du corps principal. Ils s’installèrent sous le toit, dans un espace aménagé entre une fausse cloison et le mur de la bâtisse principale. Dans cet espace confiné, haut d’un mètre et large de six, ils restèrent près de huit mois pendant lesquels ils ne se montrèrent jamais à l’extérieur. « Les proscrits ne pouvaient se tenir ni debout ni assis, ils étaient obligés de demeurer couchés ; ils ne recevaient de jour et d’air que par les interstices des tuiles (…), gelant l’hiver et étouffant l’été. » affirme Pierre Bertin-RoulleauOpus cité, p. 212.. La Terreur était partout, on guillotinait ceux qui n’avaient pas dénoncé la présence de suspects après un jugement sommaire et bâclé. C’est toute la maisonnée qui risquait ainsi sa vie, les proscrits se devaient d’être d’une discrétion absolue et de tous les instants.

    Voici coment Armand Ducos, petit neveu des Girondins Ducos et Fonfrède décrit la souffrance d’Elie Guadet :

    « Et cette humble maison, qu’il avait remplie de tous ses mérites, dont il avait, été l’honneur et la juste fierté, à peine pouvait-il maintenant l’habiter, accroupi dans un angle de la charpente ! Et sa jeune femme, ses tout petits enfants qu’il adorait, on est à se demander s’il a pu même se montrer à eux et leur parler durant ce long séjour de plusieurs mois d’exil au ras du toit de sa propre maison !
    Pour les enfants, il n’en faut pas douter, il lui a été impossible de le faire ; car, ils eussent infailliblement trahi sa présence, à leur insu. Il a pu les entendre, sans les voir, prenant leurs ébats dans les bosquets voisins de la maison. Il a pu, il a dû aussi parfois, pendant la nuit, quitter furtivement la soupente, marcher à tâtons vers leur chambre, se pencher silencieusement dans l’ombre sur leurs berceaux, pour écouter le rythme de leur respiration, boire leur douce haleine et déposer, comme un voleur d’amour, un baiser sur ces fronts endormis, même pour les revoir enfin, sans rouvrir pourtant leurs yeux, les éclairer un seul instant du jet rapide de quelque lanterne sourde !…
    Le lendemain, l’aîné des enfants disait peut-être à la mère: Maman, tu sais que cette nuit je crois avoir aperçu en songe petit père, toujours absent ! Mais, quand donc reviendra-t-il? »Armand Ducos, Les Girondins (…), p. 158. Voyez la bibliographie.

    Malheureusement, la situation allait encore empirer. Exaspéré de ne pas trouver les conventionnels, Jullien, le nouveau bras droit de Robespierre à Bordeaux, tout juste âgé de 19 ans, se mit en tête de fouiller à nouveau Saint-Emilion. Le 17 juin 1794, il lâcha des chiens féroces dans les carrières et perquisitionna brutalement les maisons suspectes dont la maison Guadet, évidemment. Une nouvelle fois, la fouille fut infructueuse jusqu’à l’instant où, sur le point de partir, un détail insolite attira l’attention de deux miliciens. Voici ce que dit le procès verbal rédigé à l’époque :
    « (Tout avait été fouillé) inutilement et on perdait l’espoir de rien trouver, lorsque Favereau et Marcon, qui avaient parcouru plusieurs fois la maison de Guadet père, s’aperçurent que le grenier était moins long que le rez-de-chaussée. Ils y remontèrent, et après l’avoir mesuré, ils se convainquirent qu’il y avait une loge pratiquée à l’extrémité, mais à laquelle aucune ouverture apparente ne communiquait. Ils montèrent sur le toit et ils travaillaient à découvrir la loge lorsqu’ils entendirent rater un pistolet. Alors ils crièrent que ce qu’ils cherchaient était là ; et Guadet et Salle crièrent eux mêmes qu’ils allaient se rendre, ce qu’ils effectuèrent. »

    En quittant la cachette, Guadet se fit reconnaître et lança : « Bourreaux, faites votre office, et, allez, ma tète à la main, demander votre salaire aux tyrans de ma patrie. Ils ne la virent jamais sans pâlir ; en la voyant abattue, ils pâliront encore »Rien de ceci ne fut consigné dans les procès verbaux mais des témoignages contemporains concordent suffisamment pour accorder quelque crédit à cette belle formule..

    Portrait de Jean Guadet, père d’Elie, d’après un tableau de famille, vers 1780. Il pose en tenu de maire et jurat de la ville, fonction qu’il occupa de 1779 à 1790.Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Salle et Guadet, chargés de chaînes, mais aussi Guadet père, Marie Guadet, sa soeur, et deux domestiques, Robert Bouquey, Madame Bouquey, François-Xavier Dupeyrat, son père, âgé de 77 ans, furent aussi arrêtés. Saint-Brice Guadet échappa ce jour là à l’arrestation, son costume militaire créant la confusion. Quand Elie Guadet réalisa que son père allait être condamné à mort pour l’avoir caché, le désarroi le gagna.

    « Eh ! bien, mon ami, répondit son père, si nous mourrons ce sera pour la bonne cause… Hé quoi ! Ne vaut-il pas mieux descendre dans la tombe, que d’exister avec des monstres pareils ! Que faire dans un pays où il n’est plus permis d’être père, et où les sentiments les plus sacrés de la nature deviennent des crimes ».

    Tous périrent sur l’échafaud, y compris Saint-Brice qui fut arrêté quelques semaines plus tard. Voilà le drame final qui se joua précisément devant cette maison de Saint-Emilion. La chute de Robespierre, seulement quelques jours plus tard, mit fin à la proscription de Girondins et Louvet, seul survivant de cette Odyssée tragique, regagna les bancs de l’Assemblée.

    Un autre frère, Guadet de Saint-Julien, échappa à la mort car il se trouvait au moment des événements à Saint-Domingue comme lieutenant-colonel d’un régiment. A son retour en 1795, il travailla à récupérer le domaine familial mis sous séquestre et laissé à l’abandon. En 1877 à la mort de la dernière représentante de la famille Guadet, la maison fut revendue et le patronyme Guadet disparut de Saint-Emilion après au moins cinq siècles de présence.

    Finalement, la mairie en fit l’acquisition en 1946 et y installa diverses associations. C’est encore sa vocation aujourd’hui pour la partie qui ne sert pas de logement. Quant aux ailes qui ferment le quadrilatère de la cour intérieure, ils sont occupés par divers commerces et services.

    Discrète, un peu oubliée de la vie locale, la maison maintient pourtant encore le souvenir de cette page d’histoire : les lettres peintes au dessus du fronton « Clos Saint-Julien » rappellent le retour du frère d’Elie, une plaque commémore les tristes événements et les Saint-Emilionnais continuent à la nommer « la maison Guadet ». Il y a aussi cette plaque en carreaux peints sur le perron de la porte principale avec les initiales « G. M. », sans doute le G est-il celui de E. Girard qui occupa les lieux de 1893 à 1927Une autre source propose Mathieu Garitey qui acheta le domaine Guadet Saint-Julien en 1844..

    Peu de visiteurs, poussent leur exploration jusqu’à la maison Guadet et c’est bien dommage. Le parc est très agréable au printemps comme en été où ses grands arbres offrent leur ombre généreuse aux pique-niqueurs. Jadis, les Saint-emilionnais l’appelaient aussi le parc des Dryades, soit en référence aux nymphes de la mythologie, aux oiseaux ou aux fleurs homonymes. Ce jardin à l’anglaise servit un temps de camping municipal, aujourd’hui c’est un lieu de loisirs pour les enfants qui ont accès librement à divers jeux ou aménagements sportifs. A voir aussi, la jolie fenêtre Renaissance de réemploi égayant un mur latéral de moellon sur lequel grimpe un rosier. C’est aussi, grâce au dénivelé du terrain et à son retrait de la route, le plus beau point de vue sur la face arrière de la Grande muraille, dernier vestige de la première église des Dominicains.

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  • Sous la rotonde avec les morts

    • Accès : les catacombes se situent sur la partie gauche de l’église souterraine. On ne peut y accéder qu’au cours de la visite guidée organisée par l’office du tourisme (Tél. : 33 (0)5 57 55 28 28 – st-emilion.tourisme@wanadoo.fr).

    A l’époque carolingienne, les catacombes s’étendaient sur une vaste surface que l’extraction de la pierre aux XVIIe et XVIIIe siècles a considérablement réduit. C’est regrettable pour le visiteur mais c’est ainsi : ce qu’il reste aujourd’hui des catacombes, ce n’est que le fond. L’entrée principale devait jadis se trouver au-delà de la chapelle de la Trinité, proche de l’entrée primitive de l’ermitage.
    Les catacombes de Saint-Emilion sont très anciennes, elles ont été creusées avant l’édification de l’église souterraine et sans doute avant l’an Mil. L’ensemble des galeries, la présence d’enfeus dans et autour des catacombes, laissent entrevoir le formidable complexe funéraire que fut Saint-Emilion à cette époque. De toute évidence, cette nécropole tant aérienne que souterraine s’articule autour de l’ermitage et puise son inspiration dans le mode de vie du saint ermite. Est-ce une raison suffisante pour expliquer la formidable ferveur qui a poussé une centaine d’individus à creuser si profondément la roche ? Car, il faut bien le reconnaître, plus le site est investi par l’archéologie plus il révèle ses différences et ses spécificités.

    Investigations après investigations, on s’achemine vers ce que l’on devra bientôt considérer comme l’exception saint-emilionnaise ; le complexe souterrain est unique en son genre en France. Michelle GaboritVoyez la bibliographie. explique ces particularités souterraines par un rapport symbolique entre les psaumes de David où Yahvé est assimilé à un roc et Gérard de SèdeVoyez la bibliographie. par une relation symbolique avec Saint Pierre et la polysémie du nom. D’autres pensent qu’en des temps troublés et violents, on a voulu abriter un lieu de culte et de recueillement, d’autres encore que ce creusement suit une mode étayée par les innovations techniques spectaculaires mises en oeuvre pour l’église de Cappadoce, ancien pays d’Asie Mineure aujourd’hui en Turquie.

    Dessin de Jouannet, vers 1823, représentant la colonne supposée taillée pour soutenir des lampes à huile. Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Jadis aménagées avec cohérence, les vestiges des catacombes offrent encore des éléments remarquables. Deux galeries distinctes sont reliées par un passage coiffé d’une coupole. Deux piliers monolithes sculptés, l’un avec des stries, l’autre avec une croix, sont les derniers témoins d’une enfilade de piliers soutenant le plafond d’une vaste surface. Sur un des piliers, on a réservé deux consoles qui servaient selon JouannetVoyez la bibliographie, p. 30. à déposer des lampes. En revanche, la salle du fond avec l’escalier remontant à une porte est tout à fait moderne. Elle résulte d’un creusement de carrières qui a révélé la présence des catacombes à cet endroit et qui servit longtemps de cave à son propriétaire.

    Les sinistres sarcophages

    Partout des sarcophages. Nulle part le visiteur ne peut échapper aux orbites vides de la mort. Les cavités sont creusées dans le rocher, au sol et sur les parois. Plus en hauteur, les dernières demeures des enfants et des nouveau-nés avec un espace rond taillé à l’intérieur pour y insérer leur tête. Un creusement anthropomorphique couramment utilisée au XIe siècle. Mais ici, il y en a des centaines place du clocher, place du marché devant l’église, dans les jardins du Plaisance, sur les parois à l’extérieur, dans l’église souterraine et enfin dans les catacombes. On trouve aussi des arcosoliaUn arcosolium est un type de tombe en forme de niche creusée en demi cercle et utilisée notamment dans les catacombes de Rome à l’époque paléochrétienne., des cénotaphes, des enfeus et des pourrissoirs, arsenal plutôt rare, voire inédit, dans notre région. Nul doute que nous sommes au coeur d’un gigantesque sanctuaire de la mort, actif depuis les temps carolingiens jusqu’aux heures gothiques. Saint-Emilion, cité du vin et des lettres, commune libre et rebelle, fut aussi un centre funéraire. Les corps défunts, en particulier les cadavres d’enfants, convergeaient des lieues à la ronde, le jour comme la nuit, jusqu’ici. Comment et pour quelle raison, on ne le sait toujours pas.

    La cheminée des âmes

    Il y a peu de temps encore, lorsque on entrait dans les catacombes on était accueilli par un rai de lumière tombant littéralement du plafond, éclairant sur son passage des figures humaines taillées dans le roc, traçant un cercle de lumière au sol et baignant les parois souterraine d’une lueur céleste. Car le trou que nous voyons actuellement débouche sur le cimetière primitif de Saint-Emilion, celui où les plus illustres personnages de la cité reposent depuis au moins un millénaire.

    Une hôtellerie a racheté le cimetière pour en faire un jardin et a bouché le puits pour le confort de ses résidents. Lorsqu’on pénètre maintenant dans les catacombes, plus de lumière céleste ni de spectaculaire accueil. Il faut donc « imaginer » seulement ce que nos prédécesseurs contemplaient.

    La voici donc cette coupole, élégamment soutenue par trois piliers monolithes (peut-être quatre, voire six jadis). Elle fut creusée dans la roche alors que les catacombes servaient déjà depuis quelques siècles. Jean-Luc Piat, archéologue du bureau d’études Hadès, pense que la confection de la rotonde est contemporaine du creusement de l’église (fin XIe – début XIIe).

    Au sommet de cette rotonde, trois personnages semblent sortir de leurs sarcophages pour se donner la main. Le dessin est simplissime, mais l’expression rendue est telle qui semble au spectateur qu’une force invisible aspire les trois amis vers le haut. A bien observer leurs têtes enfoncées et les traits tirés de leurs visages, tandis que leurs épaules et leurs bras s’élèvent, on ressent l’effort d’extraction que ces personnages subissent. Des motifs en dent de scie au dessus de la scène ajoutent à l’effet de tiraillement, d’arrachage.

    Evidemment, cette puissante scène, qui le fut plus encore du temps où l’astre tantôt solaire et tantôt lunaire était de la partie, n’a cessé d’intriguer.

    L’interprétation la plus évidente est celle de la résurrection des morts. Ici ne sont enrochés que les corps ; les âmes, elles, appartiennent à Dieu qui les réclame et c’est par cet orifice qu’elles regagneront le cielComme dans les catacombes de San Gennaro en Italie. Voyez Stéphane Rousseau in Aquitaine historique, n°23, 1996, p. 6.. D’autres y voient une représentation de la trinité, représentation qui fait défaut à la chapelle éponyme. D’autres encore y voient une représentation primitive qui met en scène des réminiscences païennes. Cette cheminée aurait un pouvoir astral lié à un rite complexe, stationner dessous trop longtemps pourrait avoir des conséquences néfastes (troubles sensoriels et perte de mémoire).

    La coupole du Saint Sepulcre, également appelée Église de la Résurrection, à Jerusalem a pu être source d’inspiration pour la rotonde de Saint-Emilion. Cliché : Geraint Owen.

    Plus rationnellement, Jean-Luc Piat pense que c’est Pierre de Castillon, vicomte ayant un grand pouvoir sur la cité, qui en a ordonné la réalisation. Cette rotonde fut avant tout destinée aux pèlerins bien vivants (et non aux morts) venus se recueillir sur les reliques des saints accumulés dans l’espace souterrain. Souvenir de croisade, cette rotonde serait une imitation de l’église du Saint Sépulcre à Jérusalem qui abritait le tombeau du Christ. Son architecture est semblable : « une coupole ouverte d’un opaïon zénithal, une circulation périphérique autour d’une série de piliers et une même symbolique, la Résurrection. »Jean-Luc Piat, in Le Festin, p. 138. Voyez la bibliographie. Intuitivement, ce chercheur pense même que les catacombes servirent de première église au bourg, avant le chantier de la grande église souterraine. Léo DrouynGuide du voyageur, p. 90, voyez la bibliographie. émet effectivement l’hypothèse de la présence d’un autel entre les deux piliers restant. Il pense aussi que la partie qui rejoint l’église est un agrandissement tardif. Puis, on ajouta la coupole sur ses quatre ou six piliers formant ainsi une chapelle sépulcrale.

    Une galerie pourvue d’un escalier tourne autour du puits, éclairée par quatre ouvertures, permettant de descendre dans les catacombes et de remonter facilement depuis le plateau. Ces ouvertures se fermaient par des volets en bois et une porte barrait à mi-chemin l’accès à l’escalier. Le puits de lumière forme le noyau de cet escalier à vis. La petite porte en hauteur qui donne accès à la galerie est encore visible aujourd’hui, elle est recouverte d’un arc plein cintre. Une échelle s’appuyait sur le seuil de cette porte et on voit encore la trace laissée par le frottement renouvelé des montants. Tout ce système élaboré fait dire à Christian Scuiller, de l’InrapLors du colloque tenu en décembre à Saint-Emilion., que la rotonde devait fonctionner de pair avec l’église souterraine et le cimetière dit « du Plaisance » au dessus. Si la rotonde ne peut plus être considérée comme un édifice isolé du reste, le fonctionnement de l’ensemble reste pour autant mystérieux. Sans doute cette rotonde servait elle à des liturgies particulières.

    La Pierre qui fâche

    Au fond des catacombes, une grande pierre gravée a été remisée. Noyée dans la pénombre, elle git, négligée, au milieu des sépultures anonymes. Cette pierre, ce qui est inscrit dessus, est d’une importance capitale pour l’histoire de la cité et, au-delà, pour son identité.
    Et pour cause : cette pierre est la seule preuve de la présence en ces lieux de l’anachorète Emilion. Elle fut découverte en 1934 alors qu’elle recouvrait une sépulture lovée sous un enfeu, près des deux colonnes sculptées. Depuis elle alimente une vive polémique.

    Dans les années 50, le chanoine Tonnellier, de l’académie de Saintonge, se rendit sur place pour examiner la trouvaille. Il posa une large feuille de papier sur la surface gravée et fit un estampage en frottant un fusain gras sur la feuille. Pouvant ainsi étudier à loisir le message lapidaire, il publia une notice en 1952 puis une plaquette en 1976 dans lesquelles il donne la retranscription et sa traduction.

    Les dernières phrases de la pierre révélaient qu’un dénommé Aulius, mort en 1014, reposait dans les catacombes « car c’est auprès des reliques qu’il fait vraiment bon se reposer (…) car ici se trouve Emilien et le prêtre Avict qui ont tous les deux pour compagnon S. Valery. »

    Cette épitaphe est d’une importance historique considérable : elle prouve qu’en 1014 un notable désirait reposer près de reliques, celles de saint Emilion conservées dans les catacombes. Cette pierre justifiait tout : l’ermitage, le culte, les reliques et par la même la réalité du saint ermite.

    Pendant un demi-siècle, cette lecture de la pierre n’a jamais vraiment été contestée. Tout au plus, le Corpus des inscriptions de la France médiévale relevait-il une version quelque peu différentein Corpus…, vol. 5, 1974, p. 118.

    Or, de nouveaux examens consécutifs de la pierre vont remettre en cause les acquis historiques. Richard Bordes, membre de l’Institut d’études occitanes, se montrera critique en 2004in Aquitaine historique, n°69, p. 9. à l’égard des interprétations du chanoine Tonnellier. Il souligne le fait que les lignes au bas de la pierre, les plus importantes pour nous ici, sont des rallonges d’une autre main, ce que ne pouvait ignorer le chanoine. Cécile Treffort, de l’Université de Poitiers, remet en question, quant à elle en 2008, l’ensemble du travail du chanoineLors du colloque Ausonius en décembre 2008..

    Son nouvel examen de la pierre donne la traduction suivante :

    ///
    « Costaulus enseigne comme l’apôtre Paul
    comblé de richesses à sa naissance
    il se fit tout pour tous
    Il n’était pas esclave des richesses à lui confié
    Ce qu’il avait amassé
    Il l’a fait à lui servir
    … cinq enfants … »
    ///

    Le reste n’est plus lisible, la suite des phrases étant inscrite sur le rebord de la pierre qui ne peut être manipulée pour des raisons de propriété privée. Du coup, rien ne peut être prouvé sur le reste des inscriptions, notamment celles faisant références à Emilion. L’enquête s’est donc poursuivie auprès de la Société d’histoire et d’archéologie de Saint-Emilion qui conserve l’estampage réalisé par le chanoine Tonnellier.

    Sur ce document, on voit nettement que le chanoine a repassé au crayon ce qu’il croyait lire, modifiant subjectivement l’estampage. D’ailleurs la reproduction de l’estampage publiée dans la brochure de 1976 est tellement retouchée que l’on peut parler d’un faux. Il n’est pas douteux de penser que Tonnellier, saintongeais comme le fut un temps Emilion, fut animé d’une forte motivation pour faire exister Emilion par cette récente découverte. A-t-il réellement vu ce qu’il dit avoir vu ? N’interprète-t-il pas abusivement des morceaux disparates de phrases ? Les dernières inscriptions ne seraient-elles pas des ajouts tardifs pour cautionner la présence d’Emilion ?

    Le fameux estampage suspect du chanoine Tonnellier d’après un cliché ancien. L’original est conservé par la mairie de Saint-Emilion. Cliché : Librairie des Colporteurs d’après une photographie anonyme.

    Dans la réédition de 1976, le chanoine Tonnelier ajoute une note de fin à son ouvrage dans laquelle il se plaint de « l’inconscience sauvage de trop de touristes » qui a dégradé la pierre qui « ne présente plus rien de lisible ». Il termine par « l’estampage que nous avons eu la chance de pouvoir exécuter à temps reste désormais le seul document de cette belle inscription ». Pour Cécile Treffort qui a réexaminé la pierre, le fait qu’il n’y ait effectivement plus grand chose de lisible au bas de l’inscription funéraire n’est pas lié au vandalisme touristique. Elle n’a remarqué aucune dégradation volontaire qui aurait pu être commise entre 1931 et 2008. Le désir de vouloir imposer l’estampage comme exclusif témoignage du message de la pierre pourrait nous faire suspecter le chanoine d’avoir simplement inventé l’allusion à Emilion. Cette suspicion restera toutefois une suspicion tant qu’on n’autorisera pas les chercheurs à soulever la pierre.

    En attendant, la datation même de la pierre est aujourd’hui remise en cause. Le D oncial est particulièrement caractéristique du XIIe siècle, comme la qualité du poème épigraphique aux rimes riches et ingénieuses. La date de 1014 devient de ce fait douteuse et il est plus probable qu’elle soit de 1114.

    Que reste t’il de certain sur cette inscription monumentale de grand intérêt et d’une rare beauté, perdue au fond d’un couloir vide ? Un nom surtout « Costaulus », représentant du nouveau bourgeois lettré de la cité, et nouvelle piste de recherche pour comprendre l’exceptionnelle activité artistique et intellectuelle de Saint-Emilion au XIIe siècle. Si Aulius conduisait les chercheurs dans une impasse, Costaulus fait des apparitions ici et làNotamment un acte de donation de possessions à Juillac-le-Coq vers 1120 publié dans le Bulletin de la Société archéologique et historique de Charente, série VI, tome IX, p. 204. Frédéric Boutoulle dans son Duc et la société, p. 318, reproduit un acte de donation d’Olivier, Vicomte de Castillon, daté au plus tard de 1099 où un Costaulus de Vigara de sainte Florence apparaît. et sans doute va-t-il enfin commencer à nous parler.

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  • L’Anneau, le fermail et la couverture

    On trouve cette légende au chapitre 120 de l’édition de Keller, Swan, t. 2, p. 148 & Le Violier des histoires romaines, p. 282. Un récit semblable se trouve dans l’ancienne rédaction anglaise des Gesta, édition de Madden, seconde partie, chapitre 14, p. 311 ; voir aussi, dans la 1ère partie, p. 149, le chapitre 46. L’anneau merveilleux rappelle le chapeau de Fortunatus. Graesse, dans son Allgemeine literargeschichte (t. 3, sect. I, p. 191 -195), a recherché les sources et les imitations de ce talisman. Un poète anglais du XIVe siècle, Occlève, trouva dans cette anecdote le sujet d’une composition qui existe dans un manuscrit du Musée britannique, et que William Browne a publiée avec quelques suppressions dans son livre intitulé : Shepheard’s Pipe, 1614. Cette fiction a dû venir de l’Orient et rappelle les Contes des mille et une nuits. L’orthographe ancienne a été respectée tant elle ajoute à la poésie des phrases.

    —-

    De la subtile deception des femmes et execation des deceus

    Daire régna grandement sage, qui eut trois enfans qu’il ayma moult singulièrement. Comme il devoit mourir, tout son héritage donna par testament à son premier né, au second tout ce qu’il acquist en son temps, et au tiers trois precieulx joyaulx, c’est assavoir ung anneau d’or, ung fermail ou monile, semblablement un drap précieux. L’anneau avoit telle grâce, que qui en son doy le portoit, il estoit de tous aymé, si qu’il obtenoit tout ce qu’il demandoit. Le fermail faisoit à celluy qui le portait sur son estomach obtenir tout ce que son cueur pouvoit souhaiter. Et le drap précieux estoit de telle vertueuse et semblable complection, qui rendoit celuy qui dessus se seoit au lieu où il vouloit estre tout soudainement.

    Ces trois joyaulx à son enfant le moindre d’aage donna, pour l’entretenir aux estudes, et le faisoit par sa mère garder. Le roy mourut et fut la terre de son corps enrichie par sa sépulture. La mère bailla l’anneau à son dernier enfant et l’envoya à l’escolle, disant :

    Mon enfant, garde toy bien que par la déception des femmes ton anneau ne perdes.

    Il print son anneau et s’en alla aux escolles pour proffiter, et avoit nom Jonathas. Quelque jour, une jeune pucelle moult belle rencontra, en la place de laquelle son cueur fut amoureux. Il la mena avec luy et portoit toujours son anneau en son doy, si que chascun l’aymast. La fille, sa concubine, s’esmerveilla comment il pouvoit vivre, si précieusement, veu qu’il n’avoit point d’argent ; elle luy demanda ung jour la cause de cela, lequel oublya de l’advertissement de sa mère, ne pensant aussi à la cautelle des femmes, luy dist la raison et vertu de l’anneau. Lors dist la fille :

    Tu vas toujours entre gens, en la fin tu le pourras bien perdre. Baille le moy à garder, et je le garderay loyaulment.

    Il luy bailla l’anneau, lequel depuis il ne peut recouvrer. Parquoy il plora fort et gémit, pour ce qu’il n’avoit de quoy vivre, parquoy il s’en vint à sa mère plaindre de son anneau. Sa mère luy dist :

    Je t’avois bien dit que tu te gardasses de la déception des femmes.

    Elle luy bailla adoncques le fermail, disant :

    Garde le mieulx que l’anneau, car si tu le pers, de ton honneur privé seras.

    L’enfant Jonathas print le fermail et s’en retourna aux escolles. Lors sa concubine luy accourt à la porte de la cité. Il la mena comme devant avec luy. Elle s’esmerveilloit comme devant comment il estait possible de vivre si très plantureusement, parquoy elle se doubta que il avoit quelque bague d’autre sorte comme l’anneau.

    Tant fut Jonathas interrogué, qu’il luy bailla le fermail et luy interpréta la nature ; toutes fois, ce ne fut pas sans parler et longuement requetre. Quant tous les biens furent despendus, il demanda son fermail à la fille, qui luy jura qu’elle l’avoir perdu par larcin, dont Jonathas fut moult dolent, et dist que il estoit bien hors du sens quant l’anneau luy bailla, et encore plus le fermail. Il retourna à sa mère, qui le blasma et luy dist :

    Jà par deux fois tu as esté trompé et deceu par la cautelle et déception des femmes. Je n’ay plus à toy autre chose qui soit que ce drap ; si tu le pers, au grand jamais ne te trouve devant moy.

    Il print le dessus dit drap et s’en retourna à l’escolle.

    Lors comme devant fut de sa concubine de rechief abusé. Il estendit son drap et se mist dessus, la pucelle pareillement, puis dist :

    Pleut à nostre benoist Sauveur et rédempteur Jesus-Christ que nous fussions maintenant en lieu où Homme ne va et où nul ne habite.

    Tout ainsi fut fait : ils se trouvèrent en la fin du monde dedans une forest loing des hommes. La fille fut moult dolente d’estre là arrivée. Lors commença à dire à son amoureuse Jonathas que il la lairroit là aux bestes sauvages dévorer, si elle ne luy rendoit les deux bagues que elle avoit, ce qu’elle luy promis de faire s’il estoit possible. Plus que devant fut le dessusdit Jonathas de sadite concubine deceu. Il exposa la vertu du manteau et se coucha dessus et mist en son giron sa teste, commençant à dormir.

    La fille, tira le manteau soubs elle, puis commença à désirer et dist :

    Pleust à Dieu que je fusse là où j’estois ce matin, et lors elle y fut.

    Quant Jonathas fut exité de son dormir, il fut moult dolent, se voyant ainsi deceu, et ne sçavoit où aller ; toutesfois il fit le signe de la croix, et se mist en quelque voye qui le mena à ung fleuve profond, par lequel il failloit passer ; l’eaue de cedit fleuve estoit si chaulde, pareillement si amère, que elle luy brusla tout les pieds, tellement que il avoit tous les os de la chair des pieds séparés. Le povre Jonathas, de ce fort dolent, emplit ung vaisseau de l’eaue de ce fleuve, que il emporta avec luy ; et ledit Jonathas, allant plus oultre, commença à avoir fain ; il veit aucun arbre, parquoy il mangea du fruict, et fut ledit Jonathas fait par la commenstion dudit fruict adoncques ladre.

    De ce fruict emporta avec luy aussi ; puis après il vint à ung autre fleuve par lequel il passa, et luy restaura par sa nature la blessure de ses pieds. Il print de l’eaue dudit fleuve dedans ung petit vaisseau, et l’apporta avecque luy ; et plus outre passant et procédant, il commença à avoir fain ; il veit ung arbre près de là et en mangea du fruict, et tout ainsi qu’il avoit esté par le premier fait ladre, pareillement il fut par le second guery. De ce fruict print et porta aveçques luy comme de l’autre. Comme il cheminoit plus oultre, veit ung chasteau et deux hommes rencontra qui l’interroguèrent qui il estoit. Et il leur respondit qu’il estoit parfait médecin. Lors, dirent les autres, si tu povois ung homme ladre guérir, qui est au chasteau du roy, tu serois fait bien riche.

    Je le feray bien, dist il.

    Il fut envoyé au roy, qui luy commanda le malade, lequel il guaryt par le moyen du second fruict qu’il avoit gousté, qui estoit de nature pour guérir les malades, et de l’eaue seconde qui faisoit consolider la chair et reprendre. Le roy luy fit donner moult beaulx precieulx dons. Jonathas, puis après, trouva la nef de son pays et se mit dedans pour venir en sa cité, et y vint d’aventure.

    Son amoureuse estait lors fort malade. Le bruit vola partout que Jonathas estoit très grant médecin. Il fut envoyé quérir pour elle ; point n’estoit congneu ne d’elle ne d’autruy, mais longtemps avoit qu’il la cognoissoit bien ; si luy dist :

    Ma très chière dame, si vous voulez que je vous donne santé, il faut premièrement que vous vous confessiez de tous les péchés qu’avez commis et que vous rendez tout de l’autruy, s’il est ainsi que aucune chose vous en ayez ; tout autrement jamais ne serez guérie.

    Lors elle se confessa à haulte voix comment elle avoit trompé un nommé Jonathas, d’ung anneau, d’ung fermail et d’ung drap, et comment elle l’avoit laissé au bout du monde, dedans une forest, entre tes bestes. Lors dist Jonathas incongneu :

    Dis-moy où sont ces trois choses. — En ma chambre, dit la fille.

    Lors elle bailla les clefs à Jonathas qui les trois joyaulx trouva en son arche. Ce fait, il luy bailla au premier fruict que il avoit mangé et de l’eau chaulde, puis commença la fille à crier lamentablement, car elle devint lépreuse. Jonathas s’en alla à sa mère ; tout le peuple fut de son retour joyeulx. Il recompta toutes ses malédictions, et enfin mourut.

    Moralisation sus le propos.

    Ce roy est Nostre Seigneur Jesus-Christ ; la reyne, nostre mère saincte Eglise ; les trois enfans, trois sortes d’hommes. Par le premier les riches, qui ont du monde la volupté ; par le second les sages, qui par leur sapîence mondaine ce qu’ils ont acquièrent ; et par le tiers le bon chrestien esleu éternellement, auquel Dieu donne trois joyaulx ; c’est l’anneau de la foy, le fermail de la grâce, puis le drap de charité. Qui portera l’anneau rond de la foy, il pourra avoir et acquérir l’amour de Dieu et des hommes, tellement que il obtiendra tout ce qu’il désire, comme dit l’apostre : Si habueritis fidem ut sinapis poteritis dicere huic monti : «Transi», et transiet. Si vous avez, dit l’apostre, la foy, vous pourrez commander aux montagnes que elles passent d’ung lieu en l’autre. Pareillement, si vous avez sus vostre cueur et poictrine le fermail de la divine grâce, pensez ce que vous voudrez et qui sera juste, vous l’obtiendrez.

    Parquoy dit l’Evangeliste : Demandez et vous pendrez, querez et vous trouverez. Et si vous avez le drap de charité, vous serez ès lieux esquels vous vouldrez estre, parquoy dist l’apostre que charité ne quiert pas ce qui est à elle, mais ce qui appartient à nostre benoist saulveur et rédempteur Jesus-Christ. Mais souvent le chrestien pert ces trois joyaulx en l’estude de ceste vanité par le moyen persuasif de sa concubine, la chair et charnelle concupiscence. Souvent la concupiscence charnelle tire la charité de Dieu hors de l’homme, le laissant prendre son repos et dormir, en ses péchés sans la grâce de Dieu, comme la concubine de Jonathas fist. Mais il faut ploier, comme fist Jonathas, et quant tu seras exité et éveillé du dormir de péché, et te trouveras sans grâce, vertus et mérites, liève toy legierement par les œuvres misericordieu-seset te signe du signet de la sainte croix, et tu trouveras la voye de salut. Va jusques à ce que tu trouves l’eau qui fait la chair des os séparer, c’est contriction, qui doit estre si fort amère que les délectations charnelles soient des os, qui sont les péchés, séparées. Et puis emplis le vaisseau de ton cueur de ceste liqueur de contriction par continuelle mémoire de desplaisance d’avoir offensé. Puis tu dois plus avant passer et manger du fruict de l’arbre. Cest arbre, pour vray est pénitence, qui l’ame substante ; mais le corps est dénigré comme lespreux. Ce fruict doit toujours avec luy porter le chrestien. Après il faut venir à l’eau seconde, par laquelle la chair sera restaurée. Ceste eaue est confession, laquelle restaure les vertus perdues. Il faut encore passer plus oultre pour manger du second fruict pour estre totallement guary. Ce fruict est le fruict de pénitence : c’est assavoir jeunes, oraisons, aulmosnes. De ces deux doys toujours avecques toy porter, afin que si tu trouves aucun ladre de peché, tu le guarisses.

    Les deux devant dits que on doit racompter sont la crainte de Dieu et l’amour, qui te meuvent à guarir le ladre de la maison du roy, c’est toy mesme, qui es le lépreux par ladrerie, qui peult estre guarie par le fruict de confession et l’eau de contriction. La nef qui mena Jonathas à son pays est l’observation des commandemens qui nous mènent aux éternelles joyes. Mais il convient premièrement voir la chair, sa concubine, qui est à l’esperit contraire, qui est au lict de charnelle concupiscence malade. Donne luy à gouster du fruict de pénitence, lors avecques de l’eau de contriction par lesquelles choses se lèvera en dévotion et sera enflée pour recevoir le jour de pénitence. Par ce moyen pourra rendre l’esperit à Dieu avec les trois joyaulx et au royaulme des cieulx parvenir.

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  • La Gardienne du tombeau

    • Accès : la chapelle de la Trinité se situe près de la place du marché, à coté du portail de l’église souterraine. On ne peut y accéder qu’au cours de la visite guidée organisée par l’office du tourisme (Tél. : 33 (0)5 57 55 28 28 – st-emilion.tourisme@wanadoo.fr).

    De sa partie XIIIe, il ne reste que l’abside (le fond de l’église) et le début de la nef, hésitant entre vestige roman et style gothique. Cette partie-ci est vraiment belle avec sa voûte rayonnante et sa clef représentant un agneau dans les nuages. L’autre partie a probablement été détruite pendant la Guerre de cent ans, puis remplacée au XVe siècle par une nef plus courte supportant une charpente. Mais il est possible aussi qu’elle ne fût jamais terminée.

    La chapelle eut aussi à souffrir de plusieurs affectations : une épicerie s’y installa au milieu du XIXe siècle, puis une tonnellerie à la fin du même siècle. Elle opérait sur des futs imprégnés de matières grasses qui dégageaient une épaisse fumée doublée d’une forte odeur. Les résidus se sont collés pendant des décennies sur les parois de la chapelle, encrassant les peintures murales, sans que personne ne s’en émeuve. Des badigeons à la chaux ont partiellement protégé les peintures qui ont finalement été restaurées en 1996, d’autres peintures ont depuis disparu (le Christ sur les épaules de saint Christophe, un saint en robe de bure).

    ///
    1 : Christ en majesté entouré des symboles des quatre évangélistes.
    2 : Monstre hybride coiffé de la mitre.
    3 : Saint Jean-Baptiste.
    4 : Vierge et enfant.
    5 : Crucifixion.
    6 : Un ange présente un élu à un saint.
    7 : Monstres hybrides.
    8 : Le Christ sur les épaules de saint Christophe (effacé).
    9 : Un saint en robe de bure (effacé).
    ///

    Sur l’image ci-contre, vous trouverez le décodage symbolique des représentations selon Rosalie Godin Rosalie Godin, restauratrice des Monuments historiques, in Peintures murales médiévales de Saint-Emilion, p. 97. Voyez la Bibliographie.. Cette oeuvre artistique, principalement du XIVe siècle, dégage une vraie force et l’observation attentive révèle des détails remarquables. Voici les particularités que nous préférons mais bien d’autres singularités sont à découvrir.

    *Au dessus du Christ, un visage apparaît dans un triangle rouge. C’est l’image du Père et ses pupilles observent la scène. Ses grands yeux s’opposent aux fines lèvres, lui procurant une expression magnétique.

    *Au dessous du Christ est perchée une chimère monstrueuse à queue de serpent, aux pattes de tigre et aux ailes d’aigle. Son beau visage blond est coiffé d’une mitre épiscopale ou abbatiale. Cette irrévérence à l’égard des hauts représentants de l’église n’est pas sans rappeler le bestiaire des stalles de l’église collégiale. La figure du monstre hybride, continuation gothique des grotesques romans, est susceptible de multiples interprétations. Prémonitoire, cette peinture annonce le Grand Schisme d’Occident qui opposera le pape Urbain VI au pape d’Avignon Clément VIIVoyez au sujet des monstres hybrides coiffés : Nathalie Nabert, Le Mal et le diable, pp. 156 & ss..

    *A gauche du Christ, l’artiste a tenté de traduire dans sa Vierge à l’enfant une forme d’idéal féminin : les traits gracieux du visage, les longs cheveux voilés, la fleur de lys symbole de pureté et le pli esquissé de la commissure des cuisses renvoient une image sensuelle.

    *Sur les genoux de la Vierge, le Christ debout joue curieusement avec la fibule de sa mère. On retrouve cette composition insolite sur le tombeau de Cosenza en Italie et il s’agit peut-être d’une réminiscence de la Gesta Romanorum, une collection latine de contes du XIIIe siècle, complexes et subtilement codés. Dans un de ces contes est décrit le parfait chrétien sous la forme d’un enfant à qui son père (comprenez Dieu) fait trois présents : l’anneau de la foi, le drap de la charité et le fermail (boucle de vêtement) de la grâce. Il est fort probable que Jésus soit ici cet enfant avec l’anneau dans une main et le fermail dans l’autre.

    *La scène de crucifixion utilise une grammaire picturale qui accentue le caractère dramatique de l’instant, comme l’a parfaitement mis en lumière Rosalie Godin. Voyez comme la couleur rouge foncé du fond, la maigreur soulignée du Christ, l’énorme clou qui transperce ses pieds, les mains volumineuses, les larmes qu’essuient saint Jean, tout participe à une poétique émouvante de la douleur.

    Dehors aussi

    La beauté intérieure de cette chapelle a tendance à occulter ses atours extérieurs. Certes, une maison est venue s’y accoler au XIXe siècle en dépit du bon sens et les modillons ont été fortement mutilés. Il faut tout de même prendre quelques minutes sur le parvis de l’église souterraine pour embrasser quelques jolis détails de cette chapelle.

    *Six colonnes, des contreforts prévus pour porter la corniche, s’interrompent en cours de route. Des contreforts plats prennent le relais pour le reste de chemin à parcourir, donnant une figure inédite et pittoresque au mur. Il y a fort à parier que les constructeurs avaient prévu une hauteur particulière et qu’on les a obligés à surélever un peu plus le mur en cours de chantier. Au final, le résultat est plutôt élégant.

    *Remarquez comme les baies en arc brisé qui font entrer la lumière dans la chapelle forment une trinité : les deux baies de chaque côté se rapprochent de la baie centrale quitte à ne plus être centrées entre les colonnes, comme si celle du milieu les attirait à elle.

    *Les frises décoratives, les modillons et les corbeaux sont finement sculptés et offrent une légèreté toute esthétique : on y voit par exemple un visage joufflu que coiffe une pléiade de boucles, sur l’autre versant la tête hideuse d’un monstre qui lance ses grimaces arrogantes aux passants. Pour ceux qui ont la chance de demeurer une journée entière dans la cité, voir s’animer tout ce petit peuple de pierre au gré de la course du soleil et de la danse des ombres est un joyeux régal.

    *Enfin, au dessus de la partie voûté en berceau, est perché un petit clocher. Une rainure avait été prévue au pied d’un des pilastres pour faciliter le passage de la corde.

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  • La Grotte miraculeuse

    • Accès : l’ermitage se situe sous la place du marché, au niveau de la chapelle de la Trinité. On ne peut y accéder qu’au cours de la visite guidée organisée par l’office du tourisme (Tél. : 33 (0)5 57 55 28 28 – st-emilion.tourisme@wanadoo.fr).

    Selon la tradition, lorsque Saint-Emilion quitta sa Bretagne natale au milieu du VIIIe siècle, il traversa une bonne partie de la France en prodiguant quelques miracles. Il s’arrêta finalement dans la forêt des combes, où la brusque dépression d’une vallée riante lui offrait un asile bienveillant. A l’époque, la région était ravagée par les Sarrazins et pour se soustraire aux lames de leurs sabres, Emilion creusa une grotte de ses mains. Dans cette cavité, il jeûna, pria, nourrit les oiseaux et il y fit de nombreux miracles. Un jour, un attroupement s’invita dans la retraite d’Emilion avec une femme aveugle à sa tête. Elle avait rêvé que le saint homme traçait une croix sur ses yeux avec les mains et elle le suppliait maintenant de réaliser son rêve. L’ermite s’exécuta et la femme retrouva aussitôt la vue. Elle repartit chez elle toute joyeuse. Cette grotte existe encore.

    Evidemment, ces légendes prêtent à de nombreuses discussions, certaines sont évoquées dans la fiche que nous consacrons spécialement à la vie de l’anachorète fondateur de la cité. Ici, nous allons surtout parler du lieu qui fut sa demeure.
    On descend dans l’ermitage de saint Emilion comme on pénètre dans une crypte sacrée ou le tombeau d’un pharaon, avec solennité et en suivant un guide, parfois à la lueur d’une torche. Il faut dire que l’on approche ici le sanctuaire de la cité, son coeur originel ou, comme l’écrit Léo Drouyn, le palladium, c’est-à-dire le lieu sacré et l’emblème mystique de Saint-Emilion.

    L’escalier qui mène à l’ermitage date de la fin du XVIIe siècle, époque où d’importants aménagements ont été réalisés : placement des balustrades que l’on voit à l’intérieur et condamnation des autres accès. Sur le pilier qui supporte le porche de l’escalier, on devine une inscription gravée dans la pierre en 1708 :

    ///
    Emilio Silet Hic
    Nec Sit Grave Dice
    Re Mecum Desv
    Per
    Ille Famem
    Pulsit et Iste
    Sitim
    ///
    Que l’on peut ainsi traduire : Ici repose Emilion. Qu’il ne vous soit pas pénible de dire avec moi : pendant qu’il était de ce monde, il apaisa la faim, maintenant il étanche la soif.

    L’allusion à la faim tient aux pains qu’Emilion subtilisait pour distribuer aux pauvres et l’allusion à la soif fait plus certainement référence à la source qui coule dans l’ermitage qu’au vin produit dans la cité. Et en effet, une fois les marches descendues, on aperçoit sur la gauche un bassin qu’une fontaine vient remplir. A l’origine, l’accès au sanctuaire se faisait depuis le fond opposé par une ouverture plein pied, donnant directement dans la rue. Cette entrée, plus logique et agréable, est aujourd’hui murée et donne sur une cave voisine. Il est aussi possible que la grotte se poursuivît jadis dans le fond, soit par un escalier remontant dans la chapelle de la Trinité, située juste au dessus, soit par un passage conduisant à l’église souterraine.

    La tradition veut que l’ermite Emilion s’installe au coeur d’un paysage vierge : la forêt des Combes. Or, comme le laisse voir cette gravure de Gustave Doré où une jeune femme vient à la rencontre de l’ermite, le lieu choisi par l’ermite à la croisée de chemins etait très certainement déjà en partie bâti et peuplé. Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Le saint est sensé avoir habité le lieu de l’an 750 à 767. Dans une chaire, on voit son fauteuil ; dans la cavité percée dans le pilier face au fauteuil l’armoire du saint ou même son four ; dans l’autel, sa table ; dans le tombeau, le lit de l’ermite. Seul le bénitier creusé dans un petit chapiteau gallo-romain ne prête pas à interprétation. La rusticité du lieu a longtemps rendu impossible une datation de l’ermitage et on a longtemps supposé qu’il était contemporain du saint et que, par conséquent, ce dernier l’avait bien occupé.

    Cette croyance était appuyée par la Vita sancti Emiliani Confessoris, un manuscrit du premier quart du XIIe siècle (entre 1060 et 1120), probablement rédigé par les mêmes moines que ceux qui creusèrent l’église souterraine. En effet, le manuscrit raconte la vie du saint et son installation dans la forêt des Combes. Le fait qu’il y soit écrit qu’il tailla dans le rocher une cellule et un oratoire viendrait corroborer l’authenticité de l’ermitage, au moins à partir de cette époque. Mais on sait qu’à cette époque de crise religieuse, la confection de la légende du Saint Patron de la communauté devient une urgente nécessité, il est délicat de prendre au pied de la lettre ce que le manuscrit raconte. Jean-Luc Piat, archéologue du bureau d’études Hadès-Ausonius, émet lui aussi de sérieuses réserves quant à l’authenticité du lieu. Une étude attentive des modifications modernes de l’église souterraine que l’on retrouve dans l’ermitage fait penser à une oeuvre de la Contre-Réforme, mouvement de réaction de l’Église catholique romaine, apparu dans le courant du XVIe siècle face à la Réforme protestante. L’Ermitage serait donc un faux fabriqué de toute pièce pour reconquérir un territoire sous influence protestante. Le Concile de Trente réaffirme en 1546 l’importance du culte des saints et de l’adoration des reliques, ce qui coïncide avec le renouveau du culte de Saint-Emilion. Il n’est pas douteux que relancer le pèlerinage émilionnais et attribuer à l’ermitage des pouvoirs surnaturels permettait de renforcer les sentiments antiprotestants des populations catholiques.

    L’hypothèse la plus probable aujourd’hui est donc que, plutôt que d’être l’ermitage du saint, ce fut un tombeau (probablement celui du saint) au VIIIe siècle, popularisé au XIIe siècle puis considérablement agrandi et aménagé en croix latine au XVIe pour raviver le culte. En 1946, enfin, on retira la statue mutilée du saint pour la remplacer par une statue moderne. La statue ancienne est remisée dans une niche du choeur de l’église collégiale, près du trésor.

    Un lieu de miracles

    Quoi que l’on pense de cet antre souterrain, il n’en demeure pas moins vrai qu’on lui attribue un grand nombre de pouvoirs surnaturels. Les témoignages gravés dans la pierre, que l’on ne remarque pas tout de suite mais qui sont bien là, sur les parois au bas de l’escalier, attestent de la ferveur des visiteurs. La densité bénéfique est tout à fait remarquable sur un seul lieu et de nombreuses personnes témoignent chaque année des « phénomènes magiques » du caveau. A vous de tester.

    La source.

    Quand saint Emilion s’installa dans l’ermitage, il n’y avait point d’eau nous dit la légende. Le saint fit miraculeusement remonter le cours d’un ruisseau depuis la vallée jusqu’au fond de son ermitage pour le désaltérerD’après la copie du manuscrit utilisé par Joseph Guadet. Celle utilisée par le chanoine Allain (AD33, G. 902) dit que l’eau vint pour accueillir le corps du saint après sa mort.. C’est cette eau qui coule encore sous vos yeux, qui passe sous l’ermitage par une très vieille canalisation et remplit le lavoir de la Petite Fontaine quelques mètres plus bas. A cet endroit, on peut juger du remarquable débit de la source.

    Cette carte postale du début du XXe siècle montre un ermitage en accès libre, semblable à celui que l’on connait aujourd’hui. Seules les mystérieuses phrases tracées au noir sur la voûte ont disparu. Cliché : Librairie des Colporteurs.

    Au XIXe siècle, l’accès à l’ermitage était entièrement libre et cette source était connue sous le nom de Fontplegada, c’est-à-dire la source pliée, sans doute en référence au miracle. Elle était connue pour guérir des maladies des yeux, comme beaucoup de sources locales, et les crises de conjonctivites se soignaient par des compresses imbibées de cette eau. Plus généralement, elle faisait passer les douleurs de toute sorte à celui qui en buvait. Aujourd’hui, il serait peut-être dangereux d’en boire, mieux vaut en frictionner les parties malades, ce qui était aussi l’usage.

    Le bassin a encore le pouvoir de réaliser les voeux d’un simple jet de pièce. Sans doute ce bassin tient-il cette propriété de son passé d’ ancien baptistère. Une fonction que laissent supposer les quelques marches qui descendent vers l’eau.
    Mais surtout, la fontaine offre une rencontre avec le grand Amour, voire un mariage dans l’année, à quiconque lâchera deux épingles qui tomberont au fond du bassin en se croisant. Des générations de jeunes personnes ont ainsi provoqué la chance et, il n’y a pas si longtemps encore, un tapis d’épingles témoignait de cette ferveur. Un roman anglais de la collection Harlequin (« Two pins in a fountain » de Jane Arbor) qui se déroule à Saint-Emilion évoque cette coutume. C’est dire…

    Le fauteuil

    Le fauteuil du saint ermite serait un siège de la fécondité féminine. Toute femme désireuse d’enfant qui s’assoit sur ce fauteuil tomberait enceinte dans l’année. D’après François BouchetLe Resistant, 8 janvier 2009, p.3., guide de l’Office du tourisme, Aliénor d’Aquitaine en personne y aurait posé son séant avant d’enfanter Richard Coeur de Lion ou Jean Sans Terre (la légende s’égare un peu sur l’identité du fils de l’ermitage). Cela prêterait à sourire si l’office du tourisme de Saint-Emilion ne jurait recevoir régulièrement faire-parts de naissances et clichés échographiques de visiteurs des quatre coins du monde suite à leur passage dans l’ermitage.

    ((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))

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  • La Statue de Vannes

    ((/public/.statue_Vannes_s.jpg|Statue de saint Emilion à Vannes.|L|Statue de saint Emilion à Vannes., mai 2009))La ville de Vannes en Bretagne possède, rue des Vierges, une statue de notre célèbre ermite. Erigée et bénie en 1986, elle est inaugurée par Eric Tabarly. En 2009, une seconde statuette en granit logée dans un petit monument, a été placée dans l’avenue Saint-Emilion. « Ce rappel discret d’un Vannetais, qui symbolise avant tout la vie, offrira au passant l’occasion d’une petite pause dans un site agréable », dira le père Dominique de Lafforest, avant de bénir la statue.

    Ce lien vous permet de visionner le reportage de 1986 et ce lien de lire l’article de 2009.

    ((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))

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  • Le Champignon de pierre

    • Accès : la place Bouqueyre se situe dans la partie extérieure la plus basse de Saint-Emilion. Formant parkings (payants) juste à la sortie de la ville, on l’atteint immédiatement en venant de la gare ou de la route départementale D670 (Libourne-Bergerac). La rue Guadet et la rue de la Porte Bouqueyre y conduisent aussi.

    Le patronyme de la porte pose quelques problèmes. La porte « Bouqueyre » pourrait être la porte « Boucher » en traduction littérale du nord gascon en français. Il existe d’ailleurs à Bordeaux une rue Bouqueyre dans le quartier où s’étaient tôt installés les bouchers. De là à dire que la porte Bouqueyre fut soit la porte du boucher comme corps de métier, soit de la boucherie comme événement historique faisant référence à un carnage, il y a un pas que nous ne franchirons pas.

    La porte fut plus probablement nommée ainsi (Boker, Bouquiyre ou encore Bokera) en référence à un nom de famille très répandu dans le Libournais et dont plusieurs membres se distinguèrent. Si l’on penche en faveur de cette thèse, c’est que d’une part l’usage du terme bouqueyre, pour désigner le boucher, disparut assez tôt du gascon courant au profit du francisme « bouchey »Cette remarque est défendue par une internaute sur le forum occitan Casconha.com., d’autre part le vocable subsista inchangé pour les noms propres. La porte Bouqueyre serait donc une désignation honorifique gratifiant un notable au moment de sa construction ou d’une importante réparation.

    Cette vue de l’éperon au début du XXe siècle laisse encore voir le mur de la barbacane arasée.

    De la porte Bouqueyre, il ne reste rien. A peine devine-t-on son emplacement dans le prolongement du reste de rempart derrière les toilettes. La porte a été détruite en 1750 sur autorisation du marquis de Tourny, intendant de Guyenne, peut-être sur proposition des jurats et pour des raisons peu claires. On terrassa aussi la barbacane, petit fort défensif en avant de la porte. A cet endroit, on créa une place complantée d’ormeaux, remplacés au XXe siècle par des platanes. Ce fut le lieu privilégié des animations foraines, des cirques et fêtes populaires avant sa transformation en parking. L’actuelle place Bouqueyre a conservé bon gré mal gré la forme qu’occupaient jadis les fortifications. Considérant le passé fortifié de cette place, on comprend aisément le détour auquel s’oblige la route partant dans la vallée de Fongaban. Il est peu probable que des fossés eussent existé comme sur les parties plus élevées de Saint-EmilionLéo Drouyn suppose néanmoins leur existence. En ce cas, ils sont aujourd’hui entièrement comblés. ; les sondages réalisés lors du projet de création d’un centre commercial n’en ont, du reste, pas apporté la preuve.

    Des travaux de démolition, on ne laissa qu’une guérite, cette petite tour pittoresque que l’on voit maintenant s’élever à côté de la pizzeria. Très tôt, Emilien Piganeau, regrettait les amputations volontaires et continues que la cité concédait aux urbanistes :

    « Pourquoi ne l’a-t-on pas conservé, ce mur avancé, dans son entier? Pourquoi aussi n’a-t-on pas su conserver, à Saint-Emilion, tant d’autres choses ? Il existe dans le Midi de la France une cité à peu près de même étendue, que, grâce aux soins de l’Etat, on peut voir aujourd’hui régénérée, telle absolument qu’elle était au temps du roi saint Louis, la vieille cité de Carcassonne ; pourquoi la cité de Saint-Emilion n’a-t-elle pas eu cette faveur qu’elle eût méritée, elle aussi, à tant de titres comme histoire et comme monument de l’histoire ? » Excursion de la Société archéologique de Bordeaux à Saint-Emilion le 14 juin 1885.

    En observant ce champignon de pierre, le visiteur fraichement débarqué croit à une fantaisie tant la toiture pyramidale en pierre plate donne une allure curieuse à l’édifice. Les visiteurs les plus hardis y voient une prison communale isolée du reste de la cité. En vérité, il s’agit d’une échauguette qui était jadis collée à l’angle de la barbacane et reliée au reste des remparts. La porte que l’on voit encore donnait sur le parapet via le chemin de ronde. Son rôle était d’offrir un abri les jours de grosses pluies tout en permettant une surveillance continue de la campagne par la petite fenêtre percée côté vigne.

    Mission destruction

    Parce que située au fond du vallon et relativement éloignée des autres portes, c’était la porte la plus faible des six. Aussi beaucoup d’assauts se décidaient de ce côté ci en dépit de l’imposante barbacane ; en particulier lors des guerres de religion où l’utilisation des armes à feu fut devenue courante et ce type de défense avancée obsolète. Cette place calme et souriante aujourd’hui fut le théâtre de bien des drames.

    En 1563, c’est par là que, profitant d’un relâchement de la surveillance, une bande de huguenots pénétrèrent dans la ville, profanèrent les autels et brisèrent les images. Blaise de Monluc, général des catholiques, poursuivit chaudement les réformés. Le vendredi 20 janvier 1568, sur les dix heures du matin, un officier des troupes de Montluc suivi de 1500 hommes se présenta à la porte Bouquevre et demanda à parlementer. Le maire Jean David refusa de baisser les ponts : Monluc avait exempté la ville de logement de gens de guerre. Néanmoins il prévint l’officier qu’il allait rassembler les principaux de la ville pour délibérer sur sa proposition.
    A peine David entré dans la maison commune, on lui annonça que les troupes commençaient à donner des coups d’arquebuse aux murs, avaient mis le feu au pont et à la porte Bouqueyre, tué trois habitants attirés sur les lieux par la curiosité. Il accourut sur les remparts et agita un linge blanc en signe de paix. L’officier promit de repartir le lendemain et de ne faire aucun grief ni extorsion aux habitants si on lui ouvrait les portes. Les magistrats se laissèrent persuader et demandèrent aux troupes de se présenter devant la porte Bourgeoise.

    En dépit des graves exactions commises par ses soldats, Blaise de Monluc (portrait) n’a que très mollement donné suite aux remontrances des Saint-Emilionnais secrètement sacrifiés sur l’autel de la stratégie militaire.

    Une fois entrés en ville, les uns prirent leurs hôtes et hôtesses et les pendirent par le cou, d’autres violèrent les femmes et les filles, brisèrent les portes des maisons et pillèrent les objets précieux. Les Saint-Emilionnais protestèrent mais les capitaines les menacèrent de plus graves châtiments. Les soldats continuèrent donc à rechercher les trésors cachés, durant le passage d’autres compagnies, dans les lieux les plus retirés, jetèrent le blé dans la rue ou en pâture aux chevaux et défonçèrent les tonneaux de vin renfermés dans les caves. Puis ils commencèrent à démolir une partie des murs, des portes et des tours. Ils entrèrent dans la maison commune, brisèrent les coffres contenant les archives, brûlèrent les privilèges et les registres, emportèrent les armes et les munitions. Comme ils s’étaient saisis des clefs des portes de ville, les habitants et les étrangers ne pouvaient ni entrer ni sortir tandis qu’ eux couraient par troupes la campagne commettant les mêmes horreurs qu’en ville. Les capitaines, pour quitter la ville, exigèrent 1600 écus. Après leur départ, la ville passa l’hiver dans la ruine, la désolation et le dénuement le plus complet.

    L’année suivante, des huguenots de la troupe du seigneur de Piles les assiégèrent mais Saint-Emilion résista trois jours et contraignit les ennemis à se retirer. La garnison, laissée à Libourne par Monluc, accourut pour porter secours et, pour récompenser les habitants de s’être comportés vaillamment, elle les pilla et maltraita à nouveau. Ils vendirent le vin des bourgeois, brisèrent les portes et les coffres, brûlèrent les planchers des maisons, les papiers et les registres des notaires, pillèrent l’église paroissiale et le couvent des jacobins, incendièrent deux maisons où périrent des femmes et des enfants. Pour les déloger, il fallut encore leur verser une rançon, puis les soldats emportèrent les meubles des habitants pour les revendre.

    Selon Raymond Guinodie Raymond Guinodie, Histoire de Libourne, Tome II, pp. 311 & ss. qui relate tous ces évènements, le but caché des catholiques était de détruire Saint-Emilion pour ne pas voir la cité devenir un gîte de religionnaires voisin de Libourne. Les magistrats de Saint-Emilion le soupçonnèrent et tinrent tête en déclarant ouvertement se couper du monde et ne vouloir désormais recevoir de garnison d’aucun parti. Mais les attaques tant catholiques que protestantes se succédèrent jusqu’en 1590.
    On a jadis supposé que la porte gardait le souvenir de ces temps rudes par son nom, évoquant la boucherie de 1568. Cette hypothèse est contredite par l’apparition du terme dans des chartes très anciennes. La Portam Boker apparaît dans les rôles gascons dès 1284.

    ((/public/guide.png|Le Guide de Saint-Emilion|L|Le Guide de Saint-Emilion, juil. 2009))

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